"Jusqu'à 75 mois d'attente" : la justice criminelle asphyxiée par les dossiers liés au narcotrafic

Face à l'ampleur du narcotrafic, la justice craque. Les magistrats, notamment dans le sud de la France, s'en inquiètent publiquement depuis des mois. Franck Rastoul, procureur général de la Cour d'appel d'Aix-en-Provence affirme que "2026 sera l'année de la submersion en matière criminelle".

La situation est déjà très alarmante en termes de stock : on compte aujourd'hui 400 dossiers criminels qui attendent d'être jugés. Or, il va falloir ajouter à cela les 50 homicides liés au trafic de drogue qui ont eu lieu à Marseille en 2023. C'était l'année de tous les records. 

Le jugement des barons de la drogue ou des tueurs à gage prend parfois des mois. Franck Rastoul redoute donc de laisser en bas de la pile des milliers de dossiers en souffrance, y compris de viols, malgré des efforts considérables.

"Tous nos efforts, explique-t-il, c'est déjà pour privilégier les dossiers avec des accusés détenus, ne plus audiencer les dossiers avec des accusés libres et avoir de fait aujourd'hui des délais qui ne sont plus entendables, puisqu'on peut, hélas, aller jusqu'à 75 mois d'attente, 6 ans. Donc, on voit bien que le système, il est à bout de souffle".

Le risque de libérer un individu dangeruex

Le risque est de voir potentiellement libérer un individu dangereux, ce qui est automatique si la justice ne réussit pas à juger dans les délais légaux. Nathalie Roche du syndicat de la magistrature et juge d'instruction à Marseille explique avoir "toujours en tête les difficultés à faire rentrer dans des toutes petites boîtes des très très gros dossiers". 

"Je ne pense pas du tout qu'on en est à se dire qu'on ne va pas interpeller certaines personnes parce qu'on sait qu'on ne pourra pas les juger, nuance-t-elle. Mais il ne faudrait pas qu'on en arrive là."

La juge montre un petit tableau rempli de fiches Bristol derrière son bureau pour ne pas rater une échéance en termes de détention. Une charge mentale perpétuelle, d'autant que dans ces affaires de narcotrafic, les avocats n'hésitent pas à traquer la moindre erreur. Et c'est leur droit devant les chambres de l'instruction qui croulent aujourd'hui sous les recours, ralentissant encore un peu plus les procédures.

Les pratiques de certains avocats pointées du doigt

Certains avocats sont aujourd'hui pointés du doigt, car ils n'hésitent pas à recourir à des stratagèmes pour faire libérer leurs clients narcotrafiquants. Cela peut être une demande adressée simplement au greffe alors que la cour d'appel compte des dizaines de bureaux, un courrier qui cite juste l'article de loi sans écrire 'demande de mise en liberté'...

Pour le procureur général d'Aix-en-Provence, ce sont des pièges tendus à la justice. "On est dans la volonté de tromper le juge et ça c'est pas entendable, affirme-t-il. Et pour ne parler que de Marseille, quand vous avez 830 détenus incarcérés pour de la délinquance organisée, nous gérons des milliers de demandes de mise en liberté. Parfois c'est quasiment des demandes de mise en liberté mitraillettes, c'est-à-dire que vous avez à peine statué qu'il y en a une autre qui arrive. Donc il faut simplement comprendre que ce n'est pas loin d'être de l'ordre du tsunami".

"Faut-il pour autant jeter le discrédit sur toute une profession ?" s'insurge maître Charlotte Cesari. Cette avocate défend régulièrement des accusés de grand banditisme et clairement, pour elle, la misère de la justice n'est pas la faute des avocats. La véritable solution, c'est mettre des moyens avec des magistrats, avec des greffiers.

Depuis quelques mois, la tension est telle que la cour d'appel a mis en place une cellule d'analyse pour revenir sur chaque loupé. Et selon nos informations, depuis sa création au printemps dernier, il y a eu 19 détenus remis en liberté. 

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