Effondrements à Marseille : les enfants évacués ont besoin d’aide
REPORTAGE - Plus de 500 enfants ont dû quitter leur logement depuis l’effondrement de deux immeubles dans le quartier de Noailles, le 5 novembre dernier.

Ballottés d’hôtel en hôtel et impuissants
face à la détresse de leurs parents, ils souffrent de troubles du sommeil, de
l’alimentation, d’hyper-excitation et désespèrent, trois mois après, de
retrouver un jour un logement pérenne. Les psychologues qui suivent
bénévolement ces enfants dénoncent une situation d’urgence.
Plus de 500 enfants ont dû quitter leur logement depuis l’effondrement de deux immeubles dans le quartier de Noailles, le 5 novembre dernier. À Marseille, on les
appelle des "minots". Ilyès, 10 ans, Maïssa et Dora, 12 ans et
Amir, 8 ans, sont à l’école primaire ou au collège et ils ont accepté de nous
raconter leur quotidien.
Tous se souviennent avec
précision du moment où ils ont dû évacuer l’appartement familial. "Il y avait la
police et les pompiers devant l’immeuble, j’ai eu peur. J’ai vu mes parents
faire leurs bagages et ils m’ont expliqué quand on est arrivé à l’hôtel", enchaîne Maïssa. "On a pris juste les papiers, des habits... Il y a beaucoup
de choses qui sont restées là-bas, mes jouets par exemple. On a emmené le
minimum du minimum de nos affaires".
Une nouvelle vie, différente et compliquée
Impossible de revenir,
leurs immeubles sont condamnés. Coincés dans la
promiscuité des chambres d’hôtels, où cohabitent jusqu'à quatre membres d’une
même famille, parfois à plusieurs kilomètres de leur établissement scolaire, le
rythme de vie de ces est complètement bouleversé.
"Moi je pense que
l’hôtel c’est rien que pour les vacances, maximum une semaine. Là ça fait
bizarre, on n’a plus de repère. Chez nous, on vivait normalement comme des gens
normaux", confie Ilyès. "Le matin, je me réveille beaucoup plus tôt pour aller à l’école, vers
6h30. Avant j’habitais à 5 minutes du collège et maintenant je dois prendre le métro
et changer de ligne", raconte Maïssa.
Impossibilité de faire leurs
devoirs, retards dû aux transports publics, fatigue supplémentaire... Certains
parviennent à maintenir leur niveau scolaire mais d’autres plongent
complètement. "Il y a une vraie rupture, nous faisons face à des enfants
déracinés", avertit la psychologue Cécile Coulon, qui rencontre chaque
semaine ces petits évacués.
Je ne dis rien, j'ai peur qu'ils se moquent de moi
Maïssa
Dora, emmitouflé dans son
manteau en fourrure jaune, mange chaque soir à la Cité des Associations,
installée sur la Cannebière, qui offre chaque soir un repas sommaire mais chaud
aux évacués qui le souhaitent. Pour cette élève de 5e, le plus dur
c’est l’instabilité. "C’est la quatrième fois que l’on change d’hôtel. Ma
mère est handicapée mais elle est obligée de porter tous nos bagages. Je dois
l’appeler entre les cours pour me tenir au courant du lieu où la rejoindre.
J’aimerai rester fixe".
Cette situation de
précarité, dont les familles et les pouvoirs publics ne voient pas le bout,
devient chaque jour plus honteuse pour ces enfants et jeunes ados. "À l’école, je n’en ai parlé qu’à trois personnes, mes meilleurs amis", avoue
Amir, en CE2. "Moi je ne dis rien, j’ai peur qu’ils se moquent de
moi", dit Maïssa. "Parfois on me fait des blagues mais s’ils étaient
dans ma situation, ils ne diraient pas ça. J’espère que bientôt j’aurai une
plus belle maison qu’eux", renchérit Dora, revancharde.
Des séquelles psychologiques sur le long terme
Les conséquences de ces
traumatismes sur la santé physique et psychologique sont nombreuses. Pour les plus petits, c’est
encore plus compliqué. Sophie Psalti, psychologue clinicienne auprès d’enfants
atteint du cancer, s’est portée volontaire pour accompagner les enfants
délogés : "C’est encore plus traumatisant pour ceux qui n’ont pas la
parole, ils vont exprimer leur mal-être autrement : ne pas dormir, être hyper-excités, avoir des terreurs nocturne, refuser de s’alimenter... Ils ressentent
un sentiment d’insécurité", développe-t-elle.
"Les enfants ont vu
les immeubles effondrés, ils savent qu’il y a eu des morts, vous imaginez toutes
les questions que ça soulève ? Et si ça avait été moi, si ça avait été mes
parents ? Est-ce qu’elle peut tomber ma maison ? Les parents
protègent leurs enfants, mais l’inverse est vrai aussi. Alors ils parlent peu
et dans leurs têtes, ça tourne en rond".
Avec des cas parfois dramatiques : cette semaine un
adolescent de 15 ans, déjà suivit psychologiquement, a laissé un mot a sa mère
en menaçant de se suicider, à cause de cette situation qui lui paraît
inextricable. "Sans filtre, ils
sont mis face au réel pur et dur. Ça, ça ne doit pas arriver à des enfants. Il
y aura certainement des séquelles à long terme. On peut se faire beaucoup de
soucis pour eux, ils sont fragilisés", conclut Sophie Psalti. Comme Amir, tous n’espèrent qu’une seule chose : "arrêter de
changer d’hôtel et aller dans une nouvelle maison".