La compagne de Charb, le directeur de la rédaction de Charlie Hebdo, assassiné le 7 janvier, s'exprime pour la première fois. Elle a choisi Le Parisien pour sortir de son silence ce dimanche 18 octobre. Valérie souhaite révéler sa version des derniers jours de la vie du caricaturiste. Elle émet des réserves sur le récit officiel.
"Je n'ai aucune envie de m'exposer. Mais je veux connaître la vérité", explique Valérie, qui partageait la vie de Charb depuis quatre ans. Confrontée à la médiatisation de l'émotion de Jeannette Bougrab, qui disait aussi être la compagne du journaliste, Valérie explique : "Je vis loin de Paris, notre relation n’était donc pas continue, même si elle est devenue plus sérieuse vers la fin. Cela étant, il faut comprendre que Charb rejetait l’idée même d’une relation sérieuse et se voyait comme un éternel célibataire. Notre histoire, comme celles qu’il a pu avoir avec d’autres femmes, n’avait donc rien d’exclusive".
Valérie revient sur les jours qui ont précédé l'attaque de Charlie Hebdo. "Nous étions ensemble l’avant-veille, la veille et le matin du drame", explique-t-elle au Parisien. "Charb avait un peu relâché sa vigilance et se passait souvent de ses gardes du corps. Il était censé les prévenir de chacun de ses déplacements, mais il ne le faisait que rarement, hormis lors de ses sorties publiques et pour ses trajets au journal, où il était conduit en voiture par eux."
Il avait d’ailleurs fait une demande de port d’arme (...) Il voulait pouvoir se protéger tout en reprenant une vie un peu plus normale.
Valérie, compagne de Charb
La jeune femme se souvient que "cette présence permanente le pesait. Il avait d’ailleurs fait une demande de port d’arme au ministère de l’Intérieur quelque temps avant l’attaque. Il voulait pouvoir se protéger tout en reprenant une vie un peu plus normale. Faire du vélo, par exemple, ça lui manquait."
Il répétait : 'C'est bizarre cette voiture'.
Valérie, compagne de Charb
Le matin du drame, "Charb est parti chercher des croissants à la boulangerie", en bas de chez lui, dans le quartier Montorgueil à Paris. "En revenant, il avait l'air soucieux : il m'a raconté avoir repéré en bas de son immeuble une voiture noire aux vitres teintées (...) Il n'était pas du genre à s'inquiéter pour rien, mais là, ça le perturbait. Il répétait : 'C'est bizarre cette voiture'", se souvient sa compagne. " Après quoi, il est parti pour la conférence de rédaction. Il avait l'intention de revenir travailler chez lui après"...
Neuf mois plus tard, elle s'interroge : "Qui était dans cette voiture¿? Les frères Kouachi¿? Des complices¿? J’ai parlé de cet épisode aux policiers qui m’ont entendue, et j’ai écrit à la juge chargée du dossier cet été pour lui rappeler cet élément, mais je n’ai aucun retour depuis", regrette-t-elle.
Il rigolait en me disant qu’il leur avait fait du charme, que ces gens-là étaient capables de lâcher 100.000 euros comme on en dépense 10.
Valérie, compagne de Charb
La compagne du journaliste évoque aussi les finances "catastrophiques" du journal : "Charb me disait qu’il devait trouver 200.000 euros avant la fin de l’année pour ne pas fermer boutique en 2015". Dans ce but, il a été mis en relation avec "des hommes d’affaires, notamment du Proche-Orient, avec qui il passait des soirées". Charb refuse de dire à son amie qui est son intermédiaire, l'appelant seulement "mon contact". "En rentrant de ces soirées, il rigolait en me disant qu’il leur avait fait du charme, que ces gens-là étaient capables de lâcher 100.000 euros comme on en dépense 10. Je n’ai jamais su non plus qui étaient ces riches hommes d’affaires", indique la jeune femme.
La veille de l'attentat, Charb lui annonce avoir trouvé l'argent manquant. "Je lui ai demandé comment, il m’a répondu : 'Mes soirées où je fais du charme à des riches dignitaires, eh bien ça a fini par payer !', se souvient-elle. Je n’ai pas cherché à en savoir plus, mais je lui ai dit que cela pouvait être dangereux." Aujourd'hui, elle "ne peut pas s’empêcher de trouver cette coïncidence troublante. Qui a payé ? Où se trouve cette somme et comment a-t-elle été réglée ? Peut-il y avoir un lien avec les événements du 7 janvier ,Les enquêteurs doivent s’y intéresser", martèle-t-elle.
Valérie assure enfin que le domicile du journaliste aurait été cambriolé après sa mort. "Le samedi qui a suivi le drame, je suis retournée avec le frère de Charb et quelques intimes dans son appartement. Nous avons découvert qu’il avait été visité, mis à sac, et des affaires emportées, parmi lesquelles des dessins et son ordinateur portable", précise-t-elle.
Je m’étonne que les policiers qui ont recueilli mon témoignage n’aient pas eu l’air intéressés par cet élément.
Valérie, compagne de Charb
"Il me paraît indispensable de retrouver cet ordinateur portable qui contient sûrement des informations utiles à l’enquête. Or je m’étonne que les policiers qui ont recueilli mon témoignage n’aient pas eu l’air intéressés par cet élément. Un tel cambriolage, chez un défunt, quelques jours après le drame, ne mérite-t-il pas une enquête approfondie ?", interroge-t-elle encore.
Valérie juge que "la vérité sur l’attentat de Charlie Hebdo est encore loin". "Je veux faire tout mon possible pour qu’elle éclate. Je m’étonne que les enquêteurs ne cherchent pas à savoir si d’autres personnes ou d’autres intérêts pourraient se cacher derrière les frères Kouachi. On ne peut pas se contenter de la seule thèse du terrorisme islamiste", conclut-elle.