Le vent glacial qui souffle sur les relations diplomatiques entre l'Iran et l'Arabie Saoudite peut-il avoir des répercutions sur le discours et l'influence de l'État islamique (EI) dans la région ? Depuis longtemps déjà ces deux pays sont des rivaux déclarés du Moyen-Orient. Des tensions vives qui persistent depuis la chute du régime de Saddam Hussein en Irak en 2003 après le passage des Américains qui a profité à l'Iran et égratigné l'ascendant de l'Arabie Saoudite sur les pays arabes voisins. "Une rancœur exacerbée par le récent accord sur le nucléaire iranien qui propulse Téhéran comme une puissance régionale principale de la zone", analyse Bertrand Badie, professeur des relations internationales à Sciences Po, pour RTL.fr.
En surface, il y a aussi la rivalité religieuse entre chiites et sunnites. Les autorités saoudiennes, sunnites, ont exécuté cette semaine un dignitaire saoudien de confession chiite, ce que l'Iran a dénoncé comme une provocation aggravant les "tensions" au Moyen-Orient. Une exécution que Ryad a tenté de masquer en la noyant dans une vague de mises à mort, majoritairement de jihadistes sunnites condamnés à la peine capitale pour terrorisme. Ces exécutions et cet arrêt des échanges diplomatiques entre les deux entités se jouent alors même qu'une nouvelle puissance prend de l'ampleur dans la région : Daesh. Un groupe qui, selon Michel Makinsky chercheur associé à l'IPSE (Institut Prospective & Sécurité en Europe) contacté par RTL.fr, "a déclaré une guerre frontale aux Saoudiens et veut faire sauter le pouvoir en place pour prendre La Mecque".
Un argument qui vient contredire la théorie selon laquelle l'Arabie saoudite et Daesh seraient de mèche, le premier finançant le second. Pendant un temps, "le groupe terroriste a en effet profité des richesse saoudiennes, explique le spécialiste. Mais l'État a depuis changé son fusil d'épaule et lutte frontalement contre l'EI." Ce qui n'empêche pas des "organisations charitables et de riches familles de continuer à arroser les terroristes pour combattre les ennemis de l'Arabie saoudite". Ces ennemis sont donc l'Iran et les chiites, comme Bachar al-Asssad.
Le régime lutte officiellement contre Daesh avec la coalition internationale menée par les États-Unis mais de grandes familles continuent de soutenir l'État terroriste. Sur le terrain, l'Arabie Saoudite soutient également des islamistes dits "responsables" contre le régime chiite de Damas. Un qualificatif qui fait bondir Michel Makinsky : "Ils sont excessivement dangereux et ont leur propre agenda au nom d'une obsession anti-Bachar al-Assad". Pis, en dix jours, les armes distribuées se retrouveraient dans les mains de Daesh, toujours selon le chercheur qui s'appuie sur des retours de témoignages sur place.
Dans la coalition, l'Arabie Saoudite est donc alliée avec l'un des pires ennemis des jihadistes : les Américains. Ils sont également soumis à des pressions énormes de la part de Vladimir Poutine et Barack Obama, ce qui ternit son image auprès de son peuple "pas antipathique à Daesh", selon Michel Makinsky. C'est là que tout se joue. L'État islamique veut que l'image de l'Arabie Saoudite en tant que protectrice des sunnites ne soit plus crédible. C'est pourtant la raison pour laquelle le pays s'est engagé au Yémen, explique à RTL.fr Wassim Nasr, journaliste spécialiste des mouvement jihadistes. Mais quand les Saoudiens exécutent un chiite - aux côtés de nombreux sunnites - l'Iran réplique tout autant. L'Arabie Saoudite "est alors coincée", explique le chercheur associé à l'IPSE, et c'est là que Daesh peut avancer ses pions en s'imposant comme la seule puissance capable de protéger la population sunnite.
Sur le court terme, l'arrêt des échanges diplomatiques et le refroidissement des relations irano-saoudiennes peut toutefois nuire au discours de Daesh et son chef Abou Bakr al-Baghadi. C'est l'analyse de Romain Caillet, spécialiste des mouvements jihadistes, qui livre à RTL.fr le contenu du dernier commentaire audio du chef islamique. "Pourquoi l'Arabie saoudite ne fait-elle rien contre Bachar al-Assad ? Pourquoi elle ne déclare pas la guerre aux chiites ?", aurait-il lancé. La dernière vague d'exécutions, dont celle d'un dignitaire chiite, "coupe l'herbe sous le pied à Daesh, estime Romain Caillet. Aujourd'hui, il y a un argument de Daesh qui est fragilisé".
Seulement, il s'agit bien d'une conséquence à court terme car, pour ce spécialiste des mouvements jihadistes, Daesh "se nourrit des guerres et des conflits", ce qui amène le professeur en relations internationales Bertrand Badie à émettre deux hypothèses : "Soit cette crise débouche sur une escalade des tensions et casse le début de la coalition ce qui sert le jeu de l'État islamique, soit les arguments globaux de la coalition l'emportent et on s'oriente vers un lynchage réel de Daesh". Mais le groupe terroriste a d'autres arguments pour arriver à ses fins. Les problèmes d'emploi, économiques et sociaux nourrissent le discours des disciples d'Abou Bakr al-Baghadi.
"Il y a également une radicalisation conservatrice de plus en plus présente dans des segments de plus en plus importants de la population avec l'augmentation du puritanisme sous influence des prêcheurs, explique Michel Makinsky. La situation est suffisamment préoccupante pour que la question d'un soulèvement soit posée. Le risque d'implosion existe. La situation avec l'Iran et la cristallisation des relations est un facteur de tensions supplémentaire." Daesh souhaite, selon lui, provoquer un soulèvement de la population car il est dans l'incapacité de prendre les armes contre le régime. "Il invite le peuple à se soulever pour faire sauter le pouvoir saoudien et prendre la Mecque". L'un de ses ultimes objectifs pour asseoir sa domination religieuse.
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