A priori, la situation n'a rien de particulièrement inhabituel. En vacances, un homme décide de profiter d'un instant d'intimité pour se dénuder entièrement. Le torse bombé, les fesses à l'air, il pagaye fièrement sur un paddle en compagnie de sa petite amie sur une eau transparente. Il n'est même pas question de sexe : juste de soleil, de détente et d'un peu d'air frais dans des zones qui n'en profitent que rarement. Dans n'importe quel cas, l'histoire s'arrête là ; le vacancier regagne le rivage et se rhabille sans faire de vagues. Un anonymat dont ne peut pas jouir Orlando Bloom.
Le 5 août, l'acteur de Pirates des Caraïbes voit des photos de son corps nu (et censuré sur les zones cruciales) publiées par le New-York Daily News. Les clichés datent du 2 août et ont été pris en Sardaigne, où le comédien britannique de 39 ans était en voyage avec Katy Perry, sa non moins célèbre petite amie. Les clichés sont instantanément repris par la presse people... et les internautes. Twitter s'en empare, et aux quatre coins de la planète les photos sont commentées, partagées, et donnent lieu à toutes sortes de réactions.
Drôle ? Indéniablement. Amoral ? Peut-être. Orlando Bloom, aussi célèbre qu'il soit, reste un homme, nu sur une plage avec sa petite amie, dévoilé dans le plus simple appareil à la face du monde. Pourtant, du côté des internautes, l'incident devient une blague. Les photographies donnent lieu à une foire d'empoigne de farces, à grands coup de gifs, de retouches et, souvent, de versions non censurées des clichés. Pourquoi cette célébrité rend-t-elle l'incident comique ? Est-ce la renommée de l'acteur qui justifie un tel naturel face à la profanation du respect de la vie privée ?
Orlando Bloom et Katy Perry savent parfaitement qu'ils sont suivis, photographiés et comment y échapper
Damien, internaute
Damien est l'un des nombreux internautes qui ont partagé les photos non censurées sur Twitter. Pour lui, ce n'est pas simplement la célébrité d'Orlando Bloom qui rend acceptable le partage de ces images : "Se mettre nu dans un lieu extérieur et public comporte un risque que chacun, adulte, peut assumer", argumente-t-il, avant de poursuivre : "Il y a deux stars sur les photos, ils savent parfaitement qu'ils sont suivis, photographiés et comment y échapper." S'il admet que la question de respect de l'intimité se pose, il voit l'incident comme un cas particulier : l'internaute souligne que l'acteur est déjà apparu nu dans un film (Zulu, 2013), qu'il est habitué à exhiber son torse musclé sur la plage et qu'il s'est à nouveau dévêtu dans l'eau, quelques jours après le partage des photos sur la Toile : "Je pense qu'il s'en fout."
Cependant, Damien est catégorique : si toutes ces conditions n'avaient pas été réunies, il n'aurait pas participé à l'effet de masse. Et prend comme exemple Jennifer Lawrence. En 2014, l'actrice de Hunger Games est victime d'un piratage de ses données privées et voit ses photos intimes partagées en masse sur le web : "Pour le coup, c'était vraiment des photos volées. J'avais tweeté pour dire qu'il ne fallait pas les partager", assure Damien.
La nécessité de faire preuve d'une vigilance accrue, dans le cas d'un Orlando Bloom ou d'une Katy Perry, semble jugée normale : une espèce de revers de la médaille. Mais l'envie de partager ces clichés, et le naturel que montrent les internautes à rire de la situation, vient peut-être de plus loin.
Les nouvelles technologies sont évidemment l'un des facteurs élémentaires du partage de ces photos : l'effet de masse, rendu possible grâce aux réseaux sociaux, diminue le sentiment d'illégitimité. Nathalie Heinich est directrice de recherche au CNRS. En 2012, elle publie De la visibilité, Excellence et singularité en régime médiatique chez Gallimard. Un ouvrage dans lequel elle s'intéresse au phénomène de la célébrité, et à l’ascension des people au cours du dernier siècle.
Pour elle, l'intérêt du public pour ces clichés - et le naturel avec lequel il les partage - tire sa source de sentiments très humains : "La curiosité des gens pour l'intimité d'autrui est très largement répandue. Dans le cadre privé, ça intéresse peu de monde. Quand la personne est connue, la curiosité se manifeste à grande échelle, et le sentiment de légitimité se trouve accru." La sociologue évoque également l'écart de situation, qui rend l'identification quasi-impossible : "On considère, plus ou moins consciemment, que toute leur personne est publique. Et leur statut est si différent de celui d'une personne lambda que l'empathie est difficile à provoquer."
Par ailleurs, le sentiment de légitimité à partager ces clichés vient également d'un besoin de voir les people dans toute leur normalité : "On peut voir ça comme une réaction d'envie : le public peut prendre plaisir à voir une célébrité humiliée. Il s'agit de rabaisser plus grand que soi. Voir les célébrités dans une situation compliquée permet de rétablir une forme d'égalité."
Égalité ou non, cet étalage d'images privées peut être terriblement mal vécu. Lorsqu'elle s'est exprimée sur l'affaire des photos volées, dans les colonnes de Vanity Fair, Jennifer Lawrence n'a pas caché sa révolte : "Ce n'est pas un scandale, c'est un crime sexuel, affirmait-elle en novembre 2014. C'est une violation sexuelle. C'est dégoûtant."
La situation est différente de celle d'Orlando Bloom, mais les conséquences sont les mêmes : une intimité exposée au monde contre leur gré. L'acteur britannique n'a pas encore réagi et, aux vues de ses nouvelles photos de vacances, semble moins traumatisé que sa consœur par l'événement. À l'heure où d'autres célébrités, comme Kim Kardashian, font étalage d'une nudité bien choisie, peut-êtr