Belle promotion pour Fleur Pellerin. Après le numérique, la jeune ministre est propulsée à la tête de la Culture en lieu et place d'Aurélie Filippetti, qui n'a pas souhaité participer au nouveau gouvernement. Le profil de la rue de Valois passe d'une ministre à l'aise dans le monde des artistes, à une fine connaisseuse du numérique, tournant incontournable de la Culture française.
Jolie revanche, également. Les heurts entre les deux femmes ont été fréquents. Le 21 mai à Cannes, Aurélie Filippetti était même allé jusqu'à téléphoner à Matignon pour s'assurer que Fleur Pellerin ne vienne pas lui voler la vedette sur le tapis rouge lors de la projection d'Yves Saint Laurent. Cette dernière avait dû passer par l'entrée de service pour voir le film.
Aurélie Filippetti s'était perdue sur les dossiers du numérique. En décembre 2013, Fleur Pellerin, alors ministre déléguée à l'Économie numérique, avait dû la remplacer au pied-levé lors de l'inauguration du nouveau centre culturel Google à Paris.
Aurélie Filippetti ne voulait pas "servir de caution" à une entreprise qui pratique l'optimisation fiscale. Mais devant les représentants du groupe, Fleur Pellerin n'avait pas hésité à tenir un discours ferme sur la protection des données personnelles et contre les stratégies fiscales du groupe américain.
L'annonce de sa nomination au ministère de la Culture a d'ailleurs été très bien accueillie par le cinéma et la musique. Pour Florence Gastaud, déléguée générale de l'ARP (l'association des cinéastes), son passage par l'Economie numérique "fait que naturellement elle est un élément important pour enfin créer une relation entre la culture et le monde du numérique. (...) Maintenant on veut quand même qu'elle nous assure qu'elle mettra le numérique au service de la culture et pas l'inverse".
"Avec Fleur Pellerin, l'Union des Producteurs de Films est prête à construire la nouvelle économie culturelle dans le monde numérique dans un contexte bouleversé par les nouvelles données technologiques en affirmant ses fondamentaux qui ont porté très haut nos valeurs et notre culture", a renchérit Alain Terzian, président de l'UPF.
Bien placée pour aider les acteurs de la culture à s'adapter aux nouvelles technologies, Fleur Pellerin va devoir faire très vite ses preuves. Elle a su séduire les entrepreneurs lors de son précédent mandat, elle doit maintenant prouver qu'elle est capable de défendre la culture française face aux géants Google, Amazon et Netflix, auxquels s'est largement heurté sa prédécesseur. L'arrivée imminente de Netflix en France, en septembre, sera un rendez-vous à ne pas manquer pour la ministre.
"J'aurai à cœur de travailler sur les défis qui se posent à notre modèle culturel (...), de moderniser l'exception culturelle française", a-t-elle déclaré lors de la passation de pouvoir au ministère de la Culture le 26 août.
Mais elle va d'abord devoir s'occuper d'autres dossiers : l'inauguration fin octobre du musée Picasso, après des mois de guerre entre le ministère et l'établissement, les projets lancés sur le patrimoine pour les espaces protégés, les musées et les bâtiments historiques et la sanctuarisation du budget du ministère, promise par Manuel Valls et dont il faut maintenant s'assurer.
Le passage de l'Économie à la Culture "numérique" pourrait aussi lui demander trancher dans le vif. La ministre devra reprendre le feuilleton d'Hadopi, dont le sort a été laissé en stand by, et le projet de loi "création", dont l'avenir est plus qu'incertain.
La disparition de l'Hadopi était une promesse de campagne du président, qui s'est transformée en passage sous l'autorité du CSA, jamais concrétisé. Par ailleurs, la position pro-logiciel libre de Fleur Pellerin pourrait aller à l'encontre de certaines dispositions de la loi "création".
C'est surtout dans le conflit avec les intermittents du spectacle que la nouvelle ministre ne devra pas se laisser coincer. Le sujet a été soigneusement évité, autant par Aurélie Filippetti que par Fleur Pellerin, lors de la passation d'autorité au ministère.
La CGT-Spectacle, chef de file du mouvement gréviste, a déjà prévenu qu'elle serait "très vigilante" sur la position de la nouvelle ministre. Celle-ci "n'a pas suivi le dossier", a constaté le secrétaire général de la CGT-Spectacle Denis Gravouil. Il a estimé que "ça va être plutôt suivi par Matignon", qui a "pris en main le sujet" au mois de juin, en mettant en place une concertation. "On verra bien si on est soutenu (par la nouvelle ministre) comme Aurélie Filippetti tentait de le faire", a-t-il ajouté.
Pour la CGT Spectacle, largement majoritaire dans le secteur du spectacle vivant, "la question de fond c'est de savoir quel va être le poids de la ministre de la Culture et s'il va y avoir une politique culturelle un peu ambitieuse". Plus direct, le syndicat Sud Culture lui demande de faire retirer la convention chômage, ou de démissionner. Fleur Pellerin est prévenue.