Lorsqu'ils franchissent la porte du domicile du couple Doisy-Descours en 2016, les enquêteurs s'attendent à une perquisition et une interpellation des plus ordinaires. Pourtant, à leur grande surprise, une troisième personne va être retrouvée, arrêtée et placée en garde à vue : une adolescente de 19 ans, présentée comme "jeune fille au pair". Après vérifications faites, il ne s'agit pas d'une complice des escroqueries dont le couple est soupçonné, mais d'une victime.
"Elle a pendant à peu près huit mois été particulièrement maltraitée", explique Jean-Philippe Vicentini, le procureur d'Amiens dans Les Voix du crime. "Au point que les époux Doisy se voient reprocher une infraction, un délit qui est assez rare, un délit qu'on appelle communément 'traite des êtres humains', c'est-à-dire d'avoir considéré que cette jeune fille au pair était finalement une espèce d'esclave au sein du domicile."
Les enquêteurs découvrent qu'en Belgique, son pays d'origine, la jeune fille est portée disparue. Au procès, ses proches auront des mots forts. "Il y avait, je trouve, une phrase assez poignante de l'avocate de la famille de cette jeune fille, qui dit à un moment 'quand les gendarmes ont appelé la maman pour annoncer que leur fille était en garde à vue, ils étaient soulagés' parce qu'ils ont tellement eu peur un jour d'avoir un coup de fil de la police ou de la gendarmerie pour leur dire qu'on l'avait retrouvée morte, que finalement dire qu'on l'avait retrouvée, qu'elle était en garde à vue, c'était pour eux un soulagement", se souvient Jean-Philippe Vicentini.
C'est l'interpellation qui, sans doute, lui a sauvé la vie
Jean-Philippe Vicentini
Comment cette jeune fille s'est-elle retrouvée chez Christelle Doisy, Frédéric Descours et leurs deux enfants ? Tout commence par sa rencontre avec le couple. "Ils lui font miroiter qu'ils vont partir, je crois que c'est au Panama - il me semble - en tout cas dans un pays étranger, pour ouvrir, je crois, un domaine qui est lié au cheval", explique Jean-Philippe Vicentini. Il n'en sera rien, et la jeune fille restera seule sous leur coupe, à se voir répéter qu'elle ne peut pas rentrer en Belgique.
"On lui avait raconté des choses épouvantables, puisqu'on lui avait expliqué que son père avait abusé d'elle, donc il ne fallait surtout pas qu'elle retourne dans sa famille, que quasiment sa vie était mise à prix en Belgique. Elle n'avait plus de téléphone, elle n'avait plus accès à un ordinateur", décrit le procureur qui fut avocat général lors du procès, c'est-à-dire représentant de la société.
À l'audience, elle apparaît traumatisée et décrit une tentative de suicide interrompue par une poignée de porte cassée. "Cette jeune fille a fini par dire que finalement, c'est l'interpellation qui, sans doute, lui a sauvé la vie, parce qu'elle est persuadée que si les gendarmes, un jour, n'étaient pas venus interpeller Mme Doisy, son conjoint et elle-même, elle serait morte dans le cadre de cette affaire", se souvient Jean-Philippe Vicentini.
Il fallait aussi la transformer physiquement pour ne pas qu'on la reconnaisse
Jean-Philippe Vicentini
Tout au long de la procédure, Frédéric Descours nie les faits qui lui sont reprochés, y compris la "traite des êtres humains". Pourtant, la victime insiste : il a, autant que Madame Doisy, participé à son exploitation. "Elle charge les deux, affirme Jean-Philippe Vicentini, c'est-à-dire que pour elle, elle est très claire : ce qu'elle a subi, ce qu'elle a vécu, est autant lié à Mme Doisy que M. Descours, même si effectivement on a l'impression que dans ses propos, les violences psychologiques étaient plus le fait de M. Descours que de Mme Doisy."
Jean-Philippe Vicentini détaille la vie que cette jeune fille a mené pendant huit mois, dans l'obligation de se cacher. "Il fallait aussi la transformer physiquement pour ne pas qu'on la reconnaisse, poursuit-il. Et puis aussi parce qu'ils voulaient se servir de sa photo pour faire des fausses pièces administratives."
Pour changer son apparence, le couple qui vit en pleine clandestinité, la prive parfois de nourriture. "C'est-à-dire qu'elle ne pouvait se nourrir que d'un thé le matin, d'un bouillon le midi et d'un yaourt le soir. Pendant quand même qu'elle servait le repas à tout le monde. (....) Parfois, en cachette, elle se nourrissait et il y a d'autres périodes, où cette fois-ci il fallait encore la transformer physiquement, elle raconte qu'il fallait qu'elle mange des kilos de nourriture par jour pour prendre du poids."
La jeune fille devait aussi s'occuper des enfants du couple qui sont aujourd'hui placés. "Pour elle, les enfants n'étaient pas heureux (...) il fallait même jouer à la cave parce qu'il ne fallait pas jouer dans le jardin à l'extérieur (...) ça aurait permis aux gens de voir qu'il y avait des enfants, et peut-être de poser des questions", rapporte Jean-Philippe Vicentini. À l'issue de leur procès, Christelle Doisy et Frédéric Descours sont condamnés respectivement à sept et cinq ans de prison. Lui, a décidé de faire appel.
>> Les Voix du crime sont avocats ou avocates, enquêteurs ou enquêtrices, proches de victimes, de suspects ou de coupables. Ces témoins-clefs se confient au micro des journalistes de RTL. Des témoignages inédits, qui apportent un éclairage nouveau sur la justice et les grandes affaires criminelles d’aujourd’hui.
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