C'est une multinationale française peu connue du grand public et basée à Bons-en-Chablais en Haute-Savoie, au pied des montagnes. Fondée en 1976, Nicomatic est spécialisée dans la fabrication de composants électroniques.
Vendus dans le monde entier, ces derniers sont destinés à l'électroménager, à l'industrie et à l'aérospatial mais surtout au secteur de la défense et de l'armement. L'entreprise emploie près de 1.000 salariés dans le monde et réalise un chiffre d'affaires d'environ 100 millions d'euros par an.
Selon les informations confidentielles consultées par RTL, certaines pièces appartenant à Nicomatic ont été retrouvées sur des équipements militaires russes, déployés et détruits en Ukraine. C'est également la découverte qu'a faite le groupe Yermak-McFaul, composé d'experts américains et ukrainiens chargés d'évaluer les sanctions contre la Russie.
Nous avons analysé près de 3.000 composants (...) et nous avons retrouvé à l'intérieur des connecteurs appartenant à Nicomatic.
"Nous avons analysé près de 3.000 composants retrouvés sur des armes russes, des missiles, des drones, des véhicules blindés, de transports de troupes, des tanks, des hélicoptères. Et nous avons retrouvé à l'intérieur des connecteurs appartenant à Nicomatic", assure Olena Bilousova, l'une des experts qui a travaillé sur ce sujet, interrogée par RTL.
Ainsi, des connecteurs appartenant à l'entreprise française ont notamment été découverts dans le Korsar, un aéronef sans pilote développé pour l'armée russe. Il est utilisé pour des missions de reconnaissance et de frappes.
Selon le groupe Yermak-McFaul, le montant des exportations vers la Russie de composants critiques fabriqués par Nicomatic a doublé depuis le début de la guerre en Ukraine en février 2022, passant de 2,2 à 4,8 millions d'euros. Malgré les sanctions, Nicomatic a donc continué de vendre ses produits.
"Cette société ne fait pas du commerce directement avec la Russie mais de manière indirecte, c'est-à-dire que certaines de ses filiales et distributeurs s'en chargent, principalement en Chine et à Hong-Kong. Ils achètent ces produits pour ensuite les vendre en Russie", ajoute la chercheuse Olena Bilousova.
Selon des documents consultés par RTL, ces composants sont passés par la filiale chinoise de Nicomatic et au moins 9 intermédiaires ou distributeurs différents. Leurs noms ne permettent pas de connaître le destinataire final : Jiuyun Technology, Hytera Communications ou encore Shenzhen Oneworld International.
Nicomatic ne fait pas du commerce directement avec la Russie mais de manière indirecte, c'est-à-dire que certaines de ses filiales et distributeurs à l'étranger s'en chargent
Olena Bilousova, experte au groupe Yermak-McFaul
Ainsi, grâce à ce système, cinq entreprises basées en Russie sont suspectées d'avoir acheté du matériel auprès de Nicomatic, au moins, jusqu'à fin 2023. Certaines sont proches du domaine de la défense ou travaillent directement avec l'armée russe. L'une d'elles, nommée IQ Components, fournit des composants électroniques à plusieurs sociétés qui travaillent avec Radar mms, le fabricant du Kalibr, l'un des missiles russes les plus meurtriers en Ukraine.
La multiplication des intermédiaires est une stratégie de contournement classique pour éviter d'apparaître comme équipementier officiel de l'armée russe et obtenir plus facilement les autorisations françaises d'exportation. En France, c'est la commission interministérielle (CIEEMG), sous l'autorité du Premier ministre, qui octroie les licences d'exportation.
Contactée par RTL, la direction de Nicomatic répond à ces allégations. Elle affirme qu'elle était au courant de ces problèmes depuis février 2022 et qu'elle a mené une enquête interne. Elle ajoute également avoir arrêté tout envoi direct en Russie et en Biélorussie dès les premiers jours de l'invasion russe.
"Je ne pense pas que cela soit un manque de contrôles de notre part mais plutôt un manque de vigilance. Nous essayons de travailler avec le client final qui va utiliser nos pièces et pas des distributeurs qui vont acheter des pièces et les revendre ensuite. C'est notre responsabilité d'être certain que nos composants sont utilisés dans les meilleures intentions", explique Olivier Nicollin au micro de RTL.
Je ne pense pas que cela soit un manque de contrôles de notre part mais plutôt un manque de vigilance
Oliier Nicollin, PDG de Nicomatic
En France, la violation ou le contournement de ces sanctions est passible, d'au moins 5 ans d'emprisonnement et 75.000 euros d'amendes. Mais dans les faits, les condamnations sont rares, voire inexistantes.
L'enquête menée par RTL révèle également qu'au moins une dizaine d'entreprises françaises qui produisent sur le territoire national continueraient de vendre des composants critiques à Moscou malgré les sanctions renforcées récemment par l'Union européenne.
Ainsi, en 2023, ces sociétés auraient exporté près de 66 millions d'euros en Russie selon le groupe d'experts internationaux Yermak-McFaul. Ce montant atteint même près de 284 millions d'euros si on compte également les sociétés étrangères - majoritairement américaines - qui produisent en France à destination de la Russie.
Selon le média Disclose, des capteurs infrarouges de Lynred, le numéro 2 mondial de l'imagerie thermique, ont été retrouvés sur des drones et des avions russes sur le front en Ukraine. Safran et Thales, deux fabricants de matériel militaire dont l'État français est le principal actionnaire, ont aussi poursuivi leur partenariat avec l'armée russe malgré l'invasion de l'Ukraine en 2022 selon un rapport de l'Observatoire des armements, un centre d'expertise indépendant basé à Lyon.
Leurs exportations vers la Russie ont certes drastiquement chuté depuis le début de la guerre mais elles se sont poursuivies en 2023. Des modèles de caméras thermiques, des systèmes de radar, des composants de moteur équipent des tanks ou des hélicoptères russes, sans que l'on puisse toujours savoir quand ils ont été fabriqués.
Sur ces photos que s'est procuré RTL, le système de visée par imagerie thermique "Sosna-U" fabriqué par Thales est utilisé dans ce T-T2B3M, un char russe de combat qui a été détruit en Ukraine.
Ici, une petite pièce fabriquée par Thales pour l'un des systèmes du moteur du KA-52 (Alligator), un avion de combat russe. On ignore la date de fabrication de ce dernier mais les pièces retrouvées sont récentes.
Contacté par RTL, Thales réfute ces informations. "Notre société s’est toujours strictement conformé à l’ensemble des réglementations internationales relatives au contrôle des exportations, aux sanctions et aux embargos applicables à l’égard de la Russie depuis 2014".
Thales précise également que les équipements visés ont été produits et livrés avant le début du conflit et que l'entreprise ne signe plus de contrats d'exportation relatifs à des matériels de guerre et assimilés avec la Russie.
"Ces échanges commerciaux entre la France et la Russie portent bien souvent sur des biens "à double usage", à la fois civil et militaire. Mais chacun sait que le satellite est l'instrument pour mener une guerre aujourd'hui pour préparer une invasion ou repérer des groupes armés. Quand ces sociétés disent qu'elles travaillent par exemple uniquement sur des hélicoptères civils, on s'aperçoit qu'une autre gamme y ressemble mais qu'elle est réservée aux forces armées. Ils jouent là-dessus pour poursuivre leur commerce", précise Tony Fortin, membre de l'Observatoire des armements.
Ces matériels français sont bien souvent à usage civil et militaire. Les entreprises jouent sur cela pour continuer de faire du commerce avec la Russie
Tony Fortin, chercheur à l'Observatoire des armements.
En janvier dernier, le Ministre ukrainien des Affaires étrangères Dmytro Kouleba affirmait que 95% des composants critiques étrangers trouvés dans les armes russes détruites en Ukraine proviennent de sociétés privées occidentales.
Aujourd'hui, des ONG demandent au gouvernement français de mieux contrôler les exportations de ces entreprises et préserver la vie des civils bombardés quotidiennement par l'armée russe en Ukraine.
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