Madonna disait de lui qu’il était le seul chanteur capable de la faire pleurer, « le plus injustement sous-estimé de tous les chanteurs américains », avait écrit aussi le New-York Times, au pays où l’on sanctifie les beautiful loosers. Lou Reed l’avait appelé pour une chanson en duo, David Lynch pour un épisode de « Twin Peaks ». Dans les années 90, après une éclipse de presque 20 ans, Jimmy Scott était passé du statut de chanteur perdu à celui d’artiste culte. Le jazz nous fournit de ces destins, où se mêlent glamour et fracas, les promesses et la chute, l’infirmité et la grandeur…
Né à Cleveland, abandonné à 12 ans par son père après la mort de sa mère, Jimmy Scott était atteint du syndrome de Kallman, Cette maladie génétique stoppe la croissance avant la puberté. Il avait le visage et la taille d’un enfant. Par miracle, il prit ensuite quelques centimètres inattendus, pas assez pour s’épargner l’inévitable surnom de « Little » Jimmy Scott. Et jamais sa voix ne mua. Quant on l’entendait chanter, on le prenait pour une femme. Et aussi, racontait-il, quand il allait acheter des bières au drugstore. Toute sa vie, Jimmy Scott a dû gérer cette singularité, pour son succès ou pour son malheur, entre crooner bouleversant et attraction de foire. Dans sa carrière, deux rendez-vous ratés l’ont privé de la célébrité : en 1950, il enregistre avec Lionel Hampton une chanson intitulée « Everybody’s Somebody’s Fool », un hit. Mais son nom n’apparaît même pas sur la pochette ! Et Hampton empoche seul le jackpot... En 1962, il enregistre un disque sur le label de Ray Charles, avec le « Genius » au piano, plus une section de cordes. Gros espoirs. Mais la maison de disque Savoy empêche la sortie du disque, prétextant que Scott est sous contrat chez elle. Plusieurs désillusions plus tard, Jimmy Scott rentre à Cleveland, et vivote en faisant d’autres métiers, comme aide-soignant dans une nurserie, ou bagagiste dans un hôtel. Pour autant, jamais il ne cessa tout à fait de chanter, de sorte qu’il conserva toujours un pied dans le métier, et un petit noyau de fidèles.
Coup de pouce de Madonna. Pour les nouveaux jeunes fans branchés, Jimmy Scott reprend ses vieilles ballades, avec toujours ses intonations étranges de castrat naturel, une incontestable émotion, un phrasé un peu essoufflé qui rappelle la grande Shirley Horn. Il enregistre à nouveau chez Warner. Le show-biz se met à lui décerner des récompenses, notamment un Grammy en 1992, comme pour se faire pardonner d’avoir oublié cet enfant vieillard. Sur ses vieux jours, Jimmy Scott disait apprécier ces reconnaissances tardives, ajoutant qu’il aurait tout de même préféré qu’elles arrivent un peu plus tôt, ce qui lui aurait permis de profiter de sa retraite. Il a passé la fin de sa vie à Las Vegas, auprès de sa cinquième femme.
Je vous conseille le documentaire, "Rising above the blues, the story of Jimmy Scott", dont nous reparlerons dans une prochaine Heure du jazz.
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