Isabelle Morini-Bosc : "J'adorais Pierre Tchernia, ses anecdotes, son esprit"

ÉDITO - Isabelle Morini-Bosc revient sur la belle personnalité de Pierre Tchernia décédé à l'âge de 88 ans, samedi 8 octobre à Paris.

Pierre Tchernia est décédé ce samedi 8 octobre 2016 à Paris.

Quand il était petit, à cet âge où l'imaginaire vous fait voir des têtes de lion dans les motifs floraux d'un tapis, il fantasmait sur un certain soldat Séféro, un fantassin imposant qu'il imaginait se battant comme le lion du tapis contre nos ennemis. Ce héros mythique, il l'avait découvert en écoutant La Marseillaise. Aviez-vous remarqué que notre chant des patriotes évoquait un patriote parti sur le champ (de bataille évidemment) ? Il est pourtant bien présent dans la phrase : "Entendez-vous dans nos campagnes mugir ces féroces soldats", devenu dans un très jeune cerveau en formation : "Mugir, Séféro, ce soldat".

Cet enfant, c'était Pierre Tchernia à un moment de l'existence ou l'on se construit à partir de ce qu'on voit, de ce qu'on vit. Et j'adorais cet esprit si fin dans un corps un peu rond, qui a toujours fait de chouettes films sans jamais faire de cinéma ! Ce que j'appréciais le plus ? Ses anecdotes, plus savoureuses que le plus exquis des plats consommés au cours de nos déjeuners. Ils n'ont certes pas été aussi fréquents que je l'aurais voulu... Assez toutefois pour prouver que si le fait d'avoir une forte personnalité n'empêche ni le vieillissement ni la maladie, il abolit cependant toute différence d'âge. Avec Pierre Tchernia comme avec Georges de Caunes, autre grand bonhomme que j'ai passionnément aimé amicalement, le fossé des générations a été immédiatement comblé. Et comblée est le terme, tant c'était un bonheur d'écouter leurs histoires, par exemple celle des débuts de la télé.

Comme Georges de Caunes, Pierre Tchernia méprisait les parvenus.

Isabelle Morini-Bosc

De 1949 à 1955, il était en effet moins important de savoir planter le décor que de savoir planter un clou dans le décor. Plomberie comme menuiserie comptaient parmi les activités du journaliste-télé débutant, et tant mieux s'il maniait en plus aussi bien la syntaxe que le marteau. C'était un temps, me racontaient-ils, où les projecteurs étaient si forts qu'un oiseau en attente d'antenne grilla dans sa cage. Il fallait entendre Pierre, moins voyageur qu'un George de Caunes toujours saisi de bougeotte, préciser également comment ils truffaient les premiers reportages de divers propos peu orthodoxes, voire pas très catholiques : contrepèteries, jeux-de-mots, noms inventés... Comme celui d'un type imaginaire un peu con-con qu'ils placèrent dans des situations baroques en le citant jusqu'à l'usure. Et surtout jusqu'à ce que le vrai détenteur du patronyme, dont ils ignoraient évidemment l'existence, se manifeste.

J'adorais Pierre, dont je fis la connaissance le jour de l'explosion d'une bombe dans la galerie parisienne Point Show en mars 86. Il disait gentiment que nous faisions bien l'humour ensemble, mais sa profonde gentillesse ne l'empêchait pas de défendre âprement ses intérêts quand il s'estimait grugé. C'était en effet un homme de caractère qui détestait toutefois blesser, tout comme il détestait certaines grosses vedettes condescendantes ou carrément odieuses avec les petites gens pas en position de se défendre. Comme Georges de Caunes, il méprisait les parvenus, certains confrères forts avec les faibles et faibles avec les forts. Et tous deux m'affirmaient que j'appartenais, que j'appartiens à la même catégorie qu'eux. Moi qui les aimerai toujours, j'espère qu'ils ont raison.

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