"La prison à vie peut en théorie exister en France", dit un magistrat

La justice européenne se penche jeudi 13 novembre sur le cas de celui qu'on a baptisé "Pierrot le fou". Pierre Bodein, 66 ans, a été condamné à la réclusion criminelle à perpétuité incompressible en 2007 pour trois meurtres particulièrement violents sur des mineurs de moins de 15 ans. Selon ce criminel multirécidiviste, cette sentence instaurée en 1994 viole la Convention européenne des droits de l'Homme, qui interdit les "traitements inhumains ou dégradants".

"Possibilité d'une perpétuité illimitée"

"A l'époque, on a voulu permettre à la justice et à la répression de donner la juste mesure à des crimes particulièrement atroces (...) On est donc arrivés, depuis 1994, à la possibilité d'une perpétuité illimitée", explique Philippe Bilger, ancien avocat général.

Beaucoup de Français restent pourtant encore convaincus que ça n'existe pas et que, finalement, les remises de peines aidant, en France, on finit toujours par pouvoir sortir.

"Disons qu'il y a une possibilité légale d'avoir une perpétuité illimitée même si, au bout de 30 ans, un condamné a le droit de demander un relèvement", décrypte le magistrat. "Il passe devant un collège d'experts, puis devant cinq magistrats de la Cour de Cassation. Il peut éventuellement bénéficier des modalités de sortie. Mais, théoriquement, théoriquement, la perpétuité illimitée peut exister en France".

Une sanction qui doit rester rare

Une peine incompressible n'a été prononcée en France qu'à l'encontre de trois autres criminels (Christian Beaulieu, Michel Fourniret et Nicolas Blondiau). "C'est tout à fait normal. À partir du moment où je considère qu'il est légitime et nécessaire d'utiliser l'extrémité d'une sanction pour certains condamnés, il est en même temps éminemment souhaitable qu'elle soit rarement appliquée parce qu'il faut tout de même être persuadé que quelqu'un mérite la perpétuité réelle", justifie Philippe Bilger.

Il y a un gouffre entre l'humanisme compassionnel de la Cour européenne des Droits de l'Homme et le quotidien des tragédies nationales

Philippe Bilger, magistrat

Pour lui, le demande de Pierre Bodein peut aboutir. "Malheureusement, il y a un hiatus, voire un gouffre, entre l'humanisme abstrait et compassionnel de la Cour européenne des Droits de l'Homme et le quotidien des tragédies nationales", explique le magistrat.

"Je ne donnerais pas mon esprit au feu. Je crains le pire de la part de la Cour, qui va poser sans doute un regard très compassionnel sur tout cela. Mais la perpétuité des victimes et des familles, elle, est réelle. Elle est illimitée".

Peut-on encore condamner un homme à la prison à vie, fusse-t-il le plus grand des criminels ? "Tout à fait, répond Philippe Bilger. "Je ne vois absolument aucune raison que la gravité de certains crimes puisse n'être pas sanctionnée par une perpétuité illimitée dès lors qu'on a la certitude qu'on se trouve au sommet du paroxysme criminel. Donc, il n'y a pas de raison que le décret judiciaire soit complètement dénaturé par ce que j'appellerais l'univers pénitentiaire", conclu-il.