Alba Ventura : "Les politiques et les laissés pour compte"
REPLAY - Les politiques s'arrachent le livre de Christophe Guilluy, "La France périphérique". Un ouvrage qui risque d'être mal compris, mais qui offre pourtant une photographie édifiante de notre société.
La France périphérique de Christophe Guilluy (éditions Flammarion), c'est le livre qui passe entre toutes les mains de nos responsables politiques. L'ouvrage, rédigé par un géographe, raconte comment la France s'est coupée en deux. D'un côté, on a les gagnants de la mondialisation (les habitants des grandes métropoles) ; de l'autre, les perdants de la mondialisation (les campagnes, les petites villes et même certaines villes moyennes).
Le livre de chevet des politiques
Dans cette "France périphérique", on a ces endroits où l'on ne retrouve pas de boulot quand on le perd. Ce sont ces régions où le quart du salaire passe dans l'essence, parce qu'il faut faire 40 kilomètres pour aller au travail. Près de deux Français sur trois (62%) y vivent.
Ce qui est tout a fait étonnant, quand on rapporte cela à la politique, c'est que la carte de France des zones fragiles correspond à la carte de France de la montée du vote Front national. L'accusation est directe : les partis politiques ont abandonnés les Français à eux-mêmes.
Une source d'inspiration
L'ouvrage inspire par exemple Manuel Valls quand, cette semaine à l'Assemblée nationale, il parle de "la société qui se fragmente" et "des abandonnés de la République". Mais il avait déjà intégré cela quand, ministre de l'Intérieur, il avait installé des zones de sécurité prioritaires dans des petites villes éloignées.
Il faut préciser que l'auteur en est déjà à son troisième livre sur les fractures françaises (le premier remonte à 2004). En fait, le sujet n'est pas nouveau. D'ailleurs Nicolas Sarkozy s'est servi des cartes du géographe au moment de sa campagne en 2012, quand il menait cette campagne sur les "frontières", sur les dangers de la mondialisation et sur la France populaire.
C'était aussi ce que Jean-Pierre Raffarin appelait "la France d'en bas", tellement moquée à l'époque, ou les "invisibles" qu'évoquait déjà Jean-Marie Le Pen en 2002, et dont sa fille parle régulièrement dans ses discours. Cette dernière a d'ailleurs fait sa rentrée politique il y a quelques jours à Brachay, un petit village de 60 habitants en Haute Marne, où elle est allée parler de la "France des oubliés".
Voilà en gros les millions d'électeurs que l'on va s'arracher en 2017.
Hiérarchie entre les "abandons"
Ce livre n'est pas non plus parole d'évangile. On peut regretter que Christophe Guilluy y oppose la France périphérique et la France des banlieues. C'est vrai que la République dépense plus dans la politique de la ville (dans les quartiers et les banlieues, donc) que dans les territoires ruraux. C'est vrai que l'on s'est plus attaqué aux discriminations raciales qu'aux discriminations territoriales.
Est-ce qu'il faut pour autant faire une hiérarchie entre les "abandons". Non ! Ce sera le seul bémol (il est important, car à cause de cela, ce livre risque d'être mal compris), alors que c'est un ouvrage qui offre une photographie édifiante de la souffrance, de la précarité et de la fragilité.
Ce livre vient surtout nous rappeler que vingt ans après la fameuse "fracture sociale" de Jacques Chirac, on n'a toujours rien réglé dans ce pays.
