Jean-René Mahé : "Mon illettrisme a bousillé ma vie"

L'Homme du jour est Jean-René Mahé à l'occasion de la semaine de l’illettrisme. C'est un militant de la lutte contre illettrisme qui a été illettré lui-même pendant plus de 50 ans. Il a fondé l'association Addeski qui signifie réapprendre en Breton. Il vient en aide aux personnes illettrées.

Pour lui la cause de l'illettrisme ne tient pas sur une semaine. C'est un combat quotidien, permanent. "C'est un véritable enjeu auquel je consacre ma vie aujourd'hui pour aider mes semblables à s'en sortir. Je ne sais pas si les gens comprennent cet handicap, ce que ça engendre comme souffrance au quotidien." Né en 1956, il n'arrivait pas à lire ni à écrire dès le CP. "Il y avait quelque chose qui n'allait pas, j'étais incapable de l'expliquer aux adultes. Je me sentais devant un mur infranchissable. J'essayais de relier les lettres, j'avais l'impression que les informations s'envolaient tout de suite". 

Je me rendais compte que je ne pouvais rien transmettre

Jean-René Mahé

Il avoue aussi que son entourage n'a pas été réceptif à ce problème. "J'étais issu d'un monde rural où le diagnostic des adultes était vraiment très cruel. Je souffrais, je me rendais compte que je ne pouvais rien transmettre". A 16 ans, il est sorti du système scolaire. "Quand on sait ni lire ni écrire, on est très vulnérable". Et pour le quotidien il a dû se débrouiller. "Pour le permis de conduire par exemple, j'ai appris par cœur comme beaucoup d'illettrés. On est dans une société qui exclut de plus en plus mais nous aussi illettrés on s'exclut de la société. Au départ, j'avais fait une croix sur mon permis de conduire. Je m'étais résigné à ne pas l'avoir". 

Même pour les histoires d'amour, ça devenait extrêmement compliqué. Quand il a rencontré sa femme, il a fait lire ses lettres d'amour à sa mère et fait écrire les siennes par sa sœur. "Dans l'intimité ou pour tout acte ordinaire dans la vie, tout est problématique. Même aujourd'hui pour moi faire un chèque c'est un problème. Je perds mes moyens et je doute. J'ai peur de voir les gens s'énerver. Parfois je demande de le faire à ma place". 

Le temps perdu on ne le rattrapera pas

Jean-René Mahé

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Jean-René a eu cinq enfants à qui pendant longtemps il a caché son illettrisme. "Je bluffais avec mes enfants quand il fallait vérifier les devoirs. Ils m'ont avoué n'avoir rien vu. Je leur ai dit quand ils étaient adultes, mon aîné avait 23 ans". C'est la petite en CP qui lui a proposé d'apprendre et il a appris en même temps qu'elle. "Le temps perdu on ne le rattrapera pas. Mon illettrisme a bousillé ma vie. Pendant des années quand je me levais le matin, c'était la première chose qui refaisait surface. J'ai eu des rendez-vous ratés à cause de ça". 

"Aujourd'hui je me bats pour faire comprendre ce que c'est d'être illettré à l'opinion mais aussi aux pouvoirs publics. Même le droit de vote on ne l'a pas, quand on ne sait pas lire" conclut Jean-René Mahé.