Isabelle Morini-Bosc : "Il faut jauger Maïtena Biraben avant de la juger"

Que se serait-il passé en 40 si nous avions eu en notre possession l'arsenal numérique dont nous disposons aujourd'hui ? Ces outils magiques que sont les tweets, les textos et autres moyens de communiquer aujourd'hui à la vitesse de l'éclair (de génie ? pas toujours !). Dommage que nous réagissions à la même vitesse, c'est à dire avant même d'être vraiment sûr d'avoir bien vu, bien lu, bien entendu. C'est le temps de réflexion entre l'ingestion et la digestion qui s'est singulièrement raccourci, voire a complètement disparu.

On est certes d'accord qu'il est épatant de pouvoir communiquer une remarque au moment même où on l'a pensée. À condition qu'il y ait, justement, une pensée ! Or, comment pourrait-il y en avoir une quand l'important est désormais d'être le premier à réagir sur tout, tout le temps. Quand on ne se contente pas de commenter une info qui nous arrive déjà déformée par le commentaire de celui qui l'a relayée, commentaire souvent négatif. Le dernier exemple en date concerne Maïtena Biraben, dont je lis partout qu'elle a fait l'apologie du Front national jeudi soir dans Le Grand Journal.

Un morceau de phrase sorti de son contexte

Lorsque cette info dénonçant la dérive "droitiste" de la journaliste m'a été rapportée, j'ai trouvé qu'il était urgent d'attendre d'en savoir plus, Maïtena ayant plutôt une solide réputation de "pétroleuse-gaucho-féministe" (plus que moi en tout cas !). Que lui reproche-t-on avec une incroyable véhémence depuis hier ? D'avoir dit "Le Front national tient un discours de vérité". Un morceau de phrase sorti de l'ensemble du propos, et donc du contexte. Comme elle a de surcroît répété cette phrase, les internautes y ont vu, y voient toujours une preuve de sa "ménardisation".

Soutenus par les journaux d'enquêtes qui prennent les sites comme "gage de sérieux". Tous sont bien décidés, si on ose dire, à enfoncer le clou. Maïtena Biraben aussi. Dans son intervention "provocatrice", elle entendait en fait dénoncer le discours politiquement correct ambiant, titillant au passage son interlocuteur, de gauche comme elle, l'avocat Dupond-Moretti, sur une faillite socialiste qui pousse des électeurs écœurés à choisir "le camp d'en face".

À ce stade de la réflexion, on peut penser que dans cet exercice difficile (surtout en direct) on n'a pas le droit de rater son coup. De courir le risque d'être mal comprise. Certes. N'empêche que le célèbre juriste, lui, a jugé cette remarque recevable, logique, en tout cas admissible puisqu'il y a répondu immédiatement. C'est sûr qu'il est plus simple de s'indigner par principe, plutôt que de vérifier s'il y a des raisons de l'être. Plus simple de juger avant de jauger, en somme.