Mekayla est une jeune Canadienne très active sur les réseaux sociaux. Sa chaîne Youtube à plus de 61.000 abonnés détaille sa vie quotidienne, de ses repas vegan à ses tatouages, en passant par ses lectures, son coming-out et ses voyages. Sa vidéo la plus regardée ne concerne pourtant aucune de ces thématiques, courantes sur le site communautaire. Avec près de 2 millions de vues depuis sa mise en ligne en mars 2014, la vidéo relate l'expérience désastreuse de la jeune femme en tant que vendeuse dans un des magasins de la chaîne cosmétique Lush.
"Quand vous vous y rendez en tant que client, c'est génial, l'équipe est si accueillante et heureuse de vous voir. Mais quand vous y travaillez, c'est une toute autre histoire", assure Mekayla au début de la vidéo. Pendant 11 minutes, la jeune femme peint un tableau très noir de son expérience : "Ils s'attendent à ce que vous leur donniez tous vos week-ends, déjà pour les formations (...) Ils vous font croire que vous pourrez être vous-même, que c'est un environnement heureux, mais ce n'est pas le cas pour les employés." Mekayla relate la pression qu'elle a ressentie à devoir systématiquement aborder les clients, et le jour où une de ses responsables l'a obligée à venir au travail malgré des énormes douleurs au dos.
"Je ne recommanderais à personne de travailler à Lush. Bien sûr, chaque Lush est différent. Mais ce n'était pas que moi, j'ai parlé à de nombreuses autres personnes engagées pour les périodes de fin d'année comme moi, et je n'étais pas seule à le penser", conclut la jeune Canadienne.
Mekayla n'est pas la seule à avoir relaté sur Youtube son expérience chez Lush. Au point que la barre de recherche du site suggère "my bad experience working at Lush" ("ma mauvaise expérience en tant qu'employé de Lush"), sûrement parce que la vidéo de la jeune femme a fait son chemin. Depuis 2 ans, les vidéos de ce type se multiplient sur la plateforme, et concernent en grosse majorité des chaînes cosmétiques ou de fast-food. Celles qui sont connues de tous, familières, à l'image ouvertement positive, et dont on rêve de connaître les coulisses et secrets.
GoldAesthetic en a fait 2, d'abord à propos de Sephora, puis Lush, mais cette fois, positive. "Vous m'avez énormément demandé une version sur Lush", affirme la Youtubeuse à ses 9.000 abonnés. La première vidéo affiche près de 370.000 vues et pour expliquer sa démission, elle invoque l'attitude désinvolte, voire, irrespectueuse, des clients.
De son côté, SariReanna (près de 80.000 abonnés) a travaillé pendant un peu moins d'un an en tant que consultante pour les soins de la peau dans un magasin Sephora, et a démissionné. "Le principal problème que j'avais concernait le management. Les gens avec qui je travaillais étaient géniaux, mais les managers en ont fait une expérience misérable." Elle évoque notamment la fois où leurs responsables ont refusé un jour de repos à une employée devant assister à un enterrement. Cette vidéo, intitulée "Ce qu'il se passe vraiment quand on travaille à Sephora", affiche plus de 1,3 million de vues depuis sa publication en décembre 2015.
"J'aurais aimé que quelqu'un m'ait informée de tout cela il y a 2 ans, quand j'ai passé des entretiens pour intégrer Sephora", écrit SariReanna dans la légende de sa vidéo. Même constat pour l'Américaine Kiki Chanel, dont l'expérience en partie déceptive a été vue plus d'un million de fois : "Si vous aviez vécu la même chose que moi, je ne voudrais pas que vous pensiez que c'est normal."
Comment expliquer que ces Youtubeuses - dont la chaîne est d'ailleurs souvent consacrée à la beauté - se permettent de critiquer publiquement leurs anciens employeurs, qui plus est, quand il s'agit d'enseignes aussi importantes, qui pourraient se retourner contre elles ? Pas étonnant selon Maître Thierry Tonnellier, responsable du cabinet d'avocats franco-américain Utopia, à Paris : "Il y a 2 choses importantes : aux États-Unis, la liberté d'expression est protégée par le premier amendement de la Constitution, qui est très forte dans l'esprit des Américains parce qu'elle est liée à la naissance de l'État américain. Cette liberté d'expression protège la possibilité d'exprimer son sentiment. C’est renforcé par le droit d’être un lanceur d’alerte, de dire quand quelque chose n'est pas bien."
En 2012, la cour d'appel de Californie a estimé, dans l'avis Summit Bank v. Rogers, que la critique en ligne d'un ancien employeur renvoie à la liberté d'expression telle qu'énoncée dans la Constitution. N'étant plus liées contractuellement, et protégées par le premier amendement, ces Youtubeuses peuvent critiquer leur ancien employeur, aussi gros soit-il, en quasi-quiétude. "Il faudrait que l'entreprise justifie que la vidéo crée un lourd préjudice suivi de conséquences négatives pour que la justice abonde en sa faveur", estime Maître Thierry Tonnellier auprès de RTL.fr.
Sur le Youtube français, très peu de vidéos de cet ordre circulent. Tout juste trouve-t-on une vidéo de PinkVerita relatant son expérience chez McDonald's, mais la jeune femme explique surtout l'organisation-type d'un des restaurants de la chaîne. Pour ce qui est des informations "croustillantes", elle a préféré les réserver en réponse à des questions posées sous sa vidéo. Là où d'autres, comme Curvy Gamer, n'hésitent pas à dire "Travailler à McDonald's craint".
Comment expliquer ce décalage ? "En France, la liberté d'expression existe, elle est inscrite dans le droit constitutionnel mais elle est circonscrite par le cadre de l'obligation de loyauté entre l'employeur et l'employé", résume à RTL.fr Maître Judith Bouhana, avocate au barreau de Paris spécialisée dans le droit du travail et du crédit. Cette obligation de loyauté consiste, en clair, à ce qu'une partie ne tienne pas de propos négatifs sur l'autre. "Quand il n'y a plus de lien contractuel, on est sous le coup des règles en matière de diffamation et d'injures publiques", prévient Maître Judith Bouhana. En d'autres termes, on a le droit de critiquer un ancien employeur, pourvu que l'on ait des preuves de ce que l'on avance, "au cas où" celui-ci voudrait nous attaquer en diffamation. Ce qui est plus susceptible d'arriver en France, selon Maître Thierry Tonnellier.
La rareté de ce genre de vidéos en France a aussi une explication culturelle : "Ce n'est pas dans les moeurs, avance Maître Judith Bouhana. Le Code du Travail est lourd de règles. Aux États-Unis, on sait qu'au niveau des règles en droit du travail, c'est beaucoup plus souple. Je pense que le contentieux est beaucoup plus important en France qu'aux États-Unis. En France, on va plus facilement aux prudhommes." Prudence, donc, avant de vous acharner sur un ancien employeur via une vidéo pouvant attirer des centaines de milliers de vues... et un procès.
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