"La Belle Saison" : 40 ans après, les combats du film qui restent d'actualité

“Il n’y a pas des trucs que t’as l’impression de ne pas pouvoir faire juste parce que t'es une femme ?” Carole (Cécile de France) interroge la jeune Delphine (Izïa Higelin), qui vient de quitter la ferme de ses parents pour s'émanciper dans la capitale. Sur son chemin, elle croise un groupe de militantes féministes en pleine action dans les rues de Paris. On est en 1971, dans une France où les femmes ne peuvent pas disposer librement de leur corps ou ouvrir seule un compte en banque. Une époque que Catherine Corsini a mise en scène avec justesse et émotion dans La Belle Saison, en salles depuis ce mercredi 19 août. À travers l'histoire d'amour de Delphine et Carole, la réalisatrice française a également rendu hommage à ces femmes de l'ombre sans qui la société française n'aurait pas autant avancé. 

Le film montre très bien ce que les femmes s'interdisent.

Christine Bard, historienne

La Belle Saison est un long-métrage qui aborde des combats du féminisme encore d'actualité en 2015. Aujourd'hui, les progrès en matière d'égalité des sexes et de parité sont bien réels mais ils restent encore de nombreuses disparités entre les hommes et les femmes. "Le film montre très bien ce que les femmes s'interdisent", confirme Christine Bard, historienne spécialiste de l'histoire du genre. "Cela me semble encore vrai de nos jours, autant dans le domaine social (métier, sport) où le genre pèse beaucoup que dans le domaine intime (le corps, la sexualité, les apparences), où le genre pèse tout autant", explique l'auteure de, entre autres, Le féminisme au-delà des idées reçues (Le Cavalier bleu) et de Les femmes dans la société française au 20e siècle (Armand Colin).

Christine Delphy, sociologue dans le domaine des études féministes et études de genre, souligne également "l'écart des salaires et les problèmes de parité qui demeurent" encore aujourd'hui en France, surtout en politique et dans les postes de responsabilités, où "les femmes restent moins nombreuses et moins bien payées que les hommes".

L'avortement, en danger ?

Depuis les événements rapportés dans le film, la législation de l'avortement a été votée en France, en 1975. Mais selon Christine Delphy, certains médecins "refusent et interdisent à leurs subordonnés de pratiquer des avortements en France, pour des raisons idéologiques. Dans certains départements, il est même impossible d'avorter." Des limites dénoncées par le Planning Familial. Il réclame en effet "une offre égalitaire sur tout le territoire. (...) En 10 ans, plus d'une centaine de Centre IVG (Interruption volontaire de grossesse) ont fermé et d'autres sont menacés", peut-on lire sur le site internet de l’organisation. 

Dans certains départements, il est même impossible d'avorter.

Christine Delphy, sociologue

"Par ailleurs, internet est le lieu d'un combat permanent entre les sites pro-vie et les sites défendant le droit des femmes à disposer librement de leur corps", explique Christine Bard. Les éléments d'éducation sexuelle - à la manière du Planning familial - sont encore loin d'être mis à disposition de tous les adolescents, garçons et filles."

Une prise de conscience sur le harcèlement de rue

"Depuis qu'une étudiante belge a fait ce petit film sur le harcèlement en 2012, il y a eu une prise de conscience. Maintenant, les femmes osent dire leur ras-le-bol, explique Hélène Marquié, maîtresse de conférence en études de genre à l'Université Paris 8. Dans les années 70-80, pour se tenir au courant, il fallait aller à des réunions. Aujourd'hui, il y a des femmes qui voient ce qui se passe sur internet".

Pour Christine Bard, le harcèlement est en effet un "problème majeur, l'une des facettes des violences masculines. Les politiques commencent à prendre en main le problème, malgré, à mon avis, un recul face aux militants qui s'en sont pris à la soi-disant 'théorie-du-genre' et aux ABCD de l'égalité", poursuit l'historienne. 

Une manifestation de l'homophobie

La Belle Saison c'est aussi une histoire d'amour entre deux femmes, dans une époque où "être homosexuel n'existait pas", raconte Hélène Marquié. "L'homosexualité était officiellement considérée comme une maladie mentale et un fléau social", précise Christine Bard. 

La mobilisation contre la loi a révélé la force du conservatisme.

Christine Bard

Avec la loi du mariage pour tous adoptée en 2013, la cause des homosexuels a gagné du terrain, mais aurait également révélé une certaine homophobie dans la société. "La mobilisation contre la loi a révélé la force du conservatisme et de l'ultraconservatisme dans la France d'aujourd'hui. (...) L'évolution des attitudes à l'égard de l'homosexualité a été rapide ; elle n'est pas consolidée", nuance Christine Bard.

Un contraste saisissant entre la ville et la campagne

À Paris, les militantes féministes multiplient les actions dans La Belle Saison. Réunions, distributions de tracts, manifestations dans les rues, sauvetage d'un ami homosexuel, le quotidien de ces femmes est riche et, surtout, plein de joie. Le spectateur découvre en même temps que le personnage d'Izïa Higelin une réalité différente de celle des régions françaises, où la place de la femme n'est pas remise en cause.

il y a un clivage entre le monde derrière l'écran et la réalité.

Hélène Marquié, Maître de conférence

Pour Hélène Marquié, "internet ne suffit pas. Il y a un clivage entre le monde derrière l'écran et la réalité". En province, c'est aussi plus compliqué de se rendre à une réunion sur les violences conjugales, par exemple. "Tout le monde se connaît, il y a des difficultés matérielles qui font que cela n'a rien d'évident de se réunir", poursuit la maîtresse de conférence. "Le monde rural est un angle mort du féminisme, selon Christine Bard. Le féminisme est profondément lié à la vie et à la culture urbaine, à la concentration de lieux de savoir, de pouvoir et Paris entraîne le reste de la France."

Le long-métrage de Catherine Corsini révèle, à travers le personnage de Delphine, de quelles manières le féminisme peut se confronter à la vie rurale. "Son féminisme se manifeste dans tous les gestes de sa vie d'agricultrice, analyse Christine Bard. Elle signe un chèque, elle délibère avec les hommes, elle conduit un tracteur... Le film ne cache pas que tout cela a un coût quand on est femme, jeune, homosexuelle. C'est même un des ressorts du suspense."

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