Philippe Claudel signe "L'arbre du pays Toraja", un livre sur la mort optimiste et beau

Après la rentrée de septembre, janvier est traditionnellement le deuxième temps fort de l'année dans les librairies. 476 romans sont attendus dans les prochaines semaines dont celui de Philippe Claudel, L'arbre du pays Toraja, déjà disponible chez Stock. L'auteur n'avait pas publié de roman depuis L'Enquête en 2010 et personne n'a oublié bien sûr deux livres devenus quasiment des classiques, Le Rapport de Brodeck et Les Âmes grises.

Dans L'arbre du pays Toraja, il nous raconte d'abord l'origine de ce titre, beau et énigmatique à la fois. "En Indonésie, au Sulawesi le peuple Toraja est obsédé par la mort et les rites funéraires. Quand j'étais allé sur cette île, j'avais vu cet arbre qui accueillait les corps des petits enfants morts. L'arbre continuait de pousser et emmenait le corps de l'enfant vers le ciel. J'avais trouvé ça fabuleux de confier un mort au vivant. Ça m'a fait réfléchir et je me suis demandé de quoi nous étions fait. Comment faisons nous vivre en nous ceux qui ne sont plus là ?", s'interroge l'écrivain.

L'ombre de l'ami disparu de Philippe Claudel

Le livre est, lui-aussi, une sorte d'arbre de Toraja dans lequel restent vivants les êtres chers que le narrateur, un cinéaste, a perdus, à commencer par son ami le plus proche, son producteur Eugène. "Le livre essaye d'explorer le lien qu'il y a entre ceux qui sont créateurs et ceux qui permettent la création, les producteurs, les éditeurs... Le livre réfléchit sur ce lien singulier qui unit deux personnes pour arriver à faire un livre ou un film. Le roman prend le prétexte grave de la disparition, mais pour montrer comment la vie est lumineuse, même avec des absents qui sont finalement toujours présents", confie Philippe Claudel.

L'être physique que j'avais connu continue sa vie en tant que personnage

Philippe Claudel

Derrière ce producteur se cache en fait l'éditeur de l'écrivain, Jean-Marc Roberts, disparu en 2013. Cet ami cher à son cœur a marqué ce livre. "Les histoires d'amitié, j'ai l'impression que c'est plus fragile, plus précieux que des histoires d'amour. Ce qui m'intéressait, c'était de dépasser ce moment de la disparition. Est-ce qu'on va encore faire des livres ? Pour qui les fait-on ? Je me suis aperçu que j'écrivais surtout pour Jean-Marc. Maintenant, l'être physique que j'avais connu continue sa vie en tant que personnage", assure le romancier.

Vivre avec le mourir

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Il réalise une prouesse : un livre sur la mort optimiste et beau, un livre paradoxalement gorgé de vie. "C'était une intention. Je ne suis pas quelqu'un de macabre. Je cite plusieurs philosophes qui nous ont appris à vivre avec le mourir, comme Pascal ou Montaigne. Vivre avec le mourir ce n'est pas rester dans le tragique mais savourer chaque instant de lumière et d'amour", juge Philippe Claudel. Une philosophie qui prend une résonance particulière avec la commémoration des attentats de janvier. "On a tous vécu cet année 2015 au plus profond de notre chair, mais ce qu'il faut garder c'est la vie, l'amour, l'espoir, c'est l'autre, qui n'est pas un agresseur potentiel mais qui peut nous emplir notre vie et l'illuminer", revendique l'auteur.
Philippe Claudel signe de très belles pages également sur le corps vieillissant, à commencer par le sien, celui d'un quinquagénaire. Ce personnage observe une jeune voisine dans l'immeuble d'en face. "C'est quelqu'un qui est toujours entre deux amours, qui s'est séparé de sa femme mais qui a toujours de la tendresse pour elle. Puis il y a cette jeune femme. Cet homme se pose beaucoup de questions par rapport à son corps : il ne se donne pas le droit de l'aimer. C'est quelqu'un qui a l'impression que les histoires d'amour sont derrière lui", explique le romancier.

Écrivain reconnu, cinéaste mal apprécié

Il y a une énigme Philippe Claudel. L'écrivain est apprécié, couronné de succès, l'homme de cinéma ne l'est pas. Son dernier film, Une enfance, a été un échec critique et commercial. "Je n'ai pas d'explication. Le paradoxe c'est que pour moi c'est mon meilleur film. Il a été davantage apprécié à l'étranger, il a obtenu le prix du meilleur film au festival de Chicago... Je pense qu'il arrivait à un moment où les gens n'avaient pas envie de voir une histoire dure, sans tête d'affiche, ce qui était un choix. Le plus important c'est de tracer son sillon, de continuer à croire en ce qu'on fait", philosophe l'auteur-réalisateur.

À l'heure de la disparition de Michel Galabru, le hasard veut que Philippe Claudel le cite dans son livre, page 83. "Je parle de ce cinéma des années 70 qui m'a nourri, avec ses titres improbables : Un os dans la moulinette, Soldat Duroc, ça va être ta fête !. Galabru n'avait pas le physique de sa sensibilité, et en même temps il a réussi à en faire son identité. J'adore son rôle de Bison dans les Je hais les acteurs de Gérard Krawczyk", conclut le romancier.