La guerre peut désormais surgir entre deux posts Facebook. C'est ce que des milliers d'utilisateurs du réseau social ont pu constater depuis le début de la bataille de Mossoul, qui oppose l’armée kurdo-irakienne soutenue par la coalition formée autour des États-Unis à l’Etat islamique. Depuis le 19 octobre, les usagers de Facebook peuvent suivre et commenter, en direct, le déroulement des opérations via un Facebook live assuré par le média kurde Rudaw. Relayé par de nombreux groupes, celui-ci génère des millions de vues sur Facebook. Et pose une nouvelle question : peut-on se fier entièrement à ces images ?
La diffusion en direct et en continu d'images de conflit n'est certes pas une nouveauté. Dans un article sur son site, le média kurde justifie sa démarche en revendiquant une action assimilable à ce qu’avait fait la chaîne d’information américaine CNN en 1991, quand elle avait diffusé en direct les bombardements durant la guerre du Golfe. "CNN a apporté la guerre dans les salons à la télévision, nous l’avons mise à la portée des smartphones du monde entier", explique le site.
Pour Jean-Marie Charon, sociologue des médias, les images diffusées par Rudaw sont davantage à rapprocher des images de la guerre en Irak en 2003, "prises sur les lieux même des combats, au plus près de l'action".
Sur ces images, on voit tout et en même temps, on ne voit rien.
Jean-Marie Charon, sociologue des médias
Instantanéité, proximité : ces deux notions suffisent-elles pour autant à rendre la scène compréhensible ? Pas vraiment, estime le sociologue. Car lorsqu'il s'agit d'information, avoir le nez collé au tableau empêche souvent toute lecture globale. "Sur ces images, on voit tout et en même temps, on ne voit rien", poursuit-il.
À titre d'exemple, le sociologue explique ainsi que lorsqu'il s'est rendu lui-même sur le live, il a vu que l'armée kurdo-irakienne était située à 10 kilomètres de Mossoul. "Pourtant, les autres médias rapportaient qu'elle était en fait à 26 kilomètres. Ce genre d'informations, cela peu paraître anecdotique. Et pourtant, cela en dit long sur la progression des forces ! En regardant uniquement les images sur Facebook, j'aurais été incapable de lire cette information", rapporte-t-il.
Malgré les critiques que l'opération continue de susciter, ni Rudaw ni Facebook ne semblent prêts à changer leur fusil d'épaule. D'un côté, le média kurde bénéficie avec cette diffusion "d'un accès démultiplié et s'offre la possibilité d'acquérir une légitimité internationale", commente Jean-Marie Charon.
De l'autre, un porte-parole de Facebook joint par RTL.fr affirme que le réseau social ne s'opposera pas à la diffusion des images de la bataille de Mossoul tant qu'elles ne seront pas signalées par les internautes, et donc "tant qu'elles ne contreviendront pas à sa politique de modération".
Au-delà de la neutralité des images se pose, évidemment, la question de la neutralité du média qui les diffuse. Et en la matière, tout comme CNN en 1991 et 2003, Rudaw est loin d'être impartial. Selon Constance Desloire et Delphine Darmency, auteurs de l'article "Rudaw Media Network, future BBC kurde ?" publié sur le site Inaglobal, Rudaw a été au départ financé par le Premier ministre du gouvernement régional du Kurdistan en Irak, Nerchivan Barzani.
Cette proximité fait d'ailleurs dire au journaliste kurde Kamal Chomani, nominé en 2013 aux International Media Awards, que Rudaw est en réalité un "média fantôme" du PDK, le parti dirigé par Massoud Barzani, l'actuel président du gouvernement régional du Kurdistan en Irak. L'organe de presse s'en défend, son porte-parole rétorquant que la chaîne "n'a aucune connexion avec le parti" et "les critique tous".
L’État islamique utilise des plateformes comme Twitter et Facebook pour diffuser sa propagande (...). L'ironie, c'est que nous utilisons les mêmes pour détruire ce groupe extrémiste.
Hemin Lihony, chef du digital chez Rudaw
Quelque soient les positions politiques défendues par la chaîne, le message qu'elle envoie à travers cette diffusion reste fort : retourner la propagande de l'État islamique contre lui en utilisant les mêmes moyens. Dans un mail envoyé à Rue89, le chef du service digital de Rudaw, Hemin Lihony s'explique : "L’État islamique utilise des plateformes comme Twitter et Facebook pour diffuser sa propagande, recruter des djihadistes en Europe et les guider jusqu’en Syrie et en Irak. L’ironie, en l’occurrence, c’est que nous utilisons les mêmes plateformes pour finalement détruire et humilier ce groupe extrémiste", écrit-il.
Jean-Marie Charon voit également dans ce livestream "un retour à la symbolique des printemps arabes", durant lesquels les combattants pro-démocratie utilisaient Facebook pour diffuser et échanger des informations. "Il est difficile de dire si cet argument est bien le leur, mais il y a quelque chose dans la nature de cette diffusion qui rappelle les printemps arabes", explique-t-il.
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