Il est 16 heures ce samedi 20 août et malgré le ciel bleu, Saint Nolff est complètement désert. En traversant ce petit village du Morbihan, accessible par une jolie route boisée, on croit même un instant s'être trompé d'endroit. Difficile d'imaginer en effet qu'à quelques centaines de mètres seulement, le Motocultor, l'un des plus grands festivals de metal français, est en train de battre son plein.
Lorsque l'on s'approche du site de Kerboulard, pourtant, les indices ne trompent plus. Une longue file de voitures s'étire sur le bas-côté de la route, et quelques tentes commencent à apparaître. Un battement sourd, enfin, parvient aux oreilles : les basses. Le coeur s'emballe. On y est presque.
On débouche finalement sur une immense clairière, et on constate alors l'étendue de notre méprise. Derrière les rangées compactes de tentes, la foule se presse pour entrer. T-shirts noirs, treillis, cheveux colorés, iroquois : plus de doute, la grand messe des métalleux français, c'est bien ici.
À peine les barrières de l'entrée sont-elles franchies qu'un message sans équivoque retient l'attention : "Tu vas crever lentement", inscrit au dos du T-shirt d'un jeune homme. On en prend bonne note.
Pourtant, un rapide coup d'oeil alentour nous rassure un peu : sur l'herbe jaunie par le soleil - à l'évidence, il ne pleut pas en Bretagne - certains profitent de ce début d'après-midi pour roupiller un peu. D'autres, à peine plus réveillés, sirotent tranquillement leur bière à même le broc en discutant. L'ambiance est détendue, bon enfant, comme si tous les métalleux de France s'étaient donné rendez-vous pour un barbecue géant. Sauf qu'ici, la viande, on la mange saignante. Voire crue.
Vers 17 heures, des centaines de festivaliers convergent vers l'une des trois scènes dans le fond de la clairière. Sur scène, c'est Pipes and Pints ("Des tuyaux et des pintes"), un groupe de punk tchèque qui électrise l'ambiance à coup de cornemuse. Le public est ultraréceptif. Punks à crêtes, faux chirurgiens armés de bras en plastique, têtes brûlées aux cheveux incandescents pogotent avec ardeur, soulevant des nuages de poussière épaisse qui reste sur les vêtements et s'infiltre dans les narines. De ce public bouillonnant dépasse une petite tête : un gamin d'à peine dix ans, casque sur les oreilles pour limiter la casse du son tonitruant, perché sur les épaules de son père. Il maîtrise déjà le "signe des cornes", le fameux geste de ralliement des métalleux du monde entier.
Un peu plus tard, c'est le punk surf qui est à l'honneur sur la scène principale avec les Bretons de Sordid Ship. Ambiance estivale oblige, le groupe originaire de Lorient a sorti les bermudas et les chemises hawaïennes. Au beau milieu du concert, les musiciens descendent de scène et envoient dans le public des bouées, des matelas et des ballons gonflables. Belle initiative : tout le reste du concert, un superbe requin en plastique s'offre une sympathique échappée dans la marée humaine du public.
Alors que le soleil descend derrière les arbres, l'obscurité s'empare peu à peu du festival. Entre chien et loup : l'heure idéale pour le show crépusculaire de Goatwhore, un groupe de black metal originaire de la Nouvelle-Orléans (États-Unis). Le charisme animal du chanteur répand sur la clairière des ondes sauvages, et le public perd la tête. Moins de crètes, plus de treillis et de noir dans cette foule, portée par l'intensité des basses et les riffs énervés de Sammy Duet, l'imposant guitariste du groupe. À pleine voix, les spectateurs scandent alors, en français, la traduction littérale du nom du groupe - que nous ne relaierons pas ici, préférant laisser cette tâche aux sites de traduction en ligne...
Puis le festival plonge dans les ténèbres de l'enfer. Des cierges brûlent sur la scène principale. Dans un silence sépulcral, le public guette l'apparition des spectres du black black metal norvégien : Mayhem ("destruction", "chaos" en anglais). Comme des ombres revenues d'outre-tombe, les musiciens se glissent sur scène. Ils entament un hymne tout droit sorti de l'antre du diable. Macabre, froide, leur prestation a l'odeur de la mort et de la désolation. Mais n'entame pourtant pas la joie de vivre et l'humour vachard de certains spectateurs : "la fumée, c'est pour qu'on voit pas leurs têtes", glisse l'un d'entre eux.
Dans les profondeurs de la nuit, le Motocultor offre ensuite une procession d'anthologie pour les amoureux de metal progressif et de post-metal. Cult of Luna et ses sons lourds et planants mettent en transe les festivaliers, venus nombreux pour l'occasion. Puis c'est au tour de l'indétrônable Neurosis d'offrir ses mélodies exigeantes, dans une parfaite maîtrise des éléments. Une heure de tempête musicale, à voguer entre les meilleurs albums de ce groupe hors-normes.
Sur le chemin du retour, la route est déserte. Dans la nuit noire de ce coin de Bretagne, pourtant, la musique parvient encore, de plus en plus lointaine. Comme un songe plein de rage, de peur et de plaisir, elle finit par s'évanouir. Mais cette édition 2016 du Motocultor, elle, restera gravée, comme un étrange tatouage dans le cerveau.
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