Des années durant, Harvey Weinstein aura acheté le silence des journalistes, profitant et abusant de son pouvoir à l’envi. Seulement voilà, il restait bien des plumes dont l’intégrité n’était pas à vendre. Parmi elles, celle qui révéla toute la teneur du scandale : Ronan Farrow.
"Seul Ronan Farrow, le fils de Woody Allen et Mia Farrow, en conflit ouvert avec le monde du cinéma pour son refus de condamner le mariage de son père avec sa sœur adoptive, pouvait probablement réussir à briser la loi du silence qui sévit, selon lui, à Hollywood sur les abus sexuels", commente Corine Lesnes dans Le Monde.
La journaliste n’a pas vraiment tort : qui d’autre que
Ronan Farrow aurait pu mener pareille enquête, longue de dix mois, forte d’une
dizaine de témoignages plus aggravants les uns que les autres ? Car si le
New York Times, dans un papier web datant du 5 octobre, a mis le feu au poudre,
c’est bien l’investigation publiée dans les colonnes du New Yorker qui lancera la machine.
Né en 1987 de l’union de l’actrice Mia Farrow et du cinéaste Woody Allen, Ronan Farrow n’est pas, contre toute attente, un enfant de la balle mais un véritable couteau-suisse médiatico-politique. Avocat, porte-parole de l’Unicef pendant la crise du Darfour et conseiller spécial auprès de Barack Obama et Hillary Clinton, l’homme est aussi écrivain et journaliste donc.
Talentueux et polyvalent, il a été publié dans les plus célèbres quotidiens comme Los Angeles Time, The Guardian ou The Wall Street Journal. En 2014, il a même sa propre émission, Ronan Farrow Daily, diffusée sur la chaîne MSNBC (depuis déprogrammée, faute d'audience). Depuis, le journaliste alimente une rubrique de l'émission NBC's Today Show, intitulé Undercover with Ronan Farrow, où il propose des reportages sur des sujets "dont personne ne parle".
Mais son héritage familial, particulièrement lourd à porter, jamais ne cesse d'empiéter sur sa carrière. Il faut dire que Ronan Farrow ne cautionne que peu les agissements de son père, qu’il pointe du doigt régulièrement et publiquement.
Bonne fête des pères. Ou... bonne fête des beaux-frères.
Ronan Farrow
Témoin, cette fête des pères de l’année 2012, où le fils tweetait : "Bonne fête des pères. Ou, comme on dit dans ma famille, bonne fête des beaux-frères", faisant alors référence au mariage de Woody Allen avec Soon-Yi, fille adoptive de Mia Farrow et donc demi-sœur de Ronan. En 2014, rebelote, le jeune homme invoque le témoignage longtemps étouffé de sa sœur, Dylan Farrow, sexuellement abusée par Woody Allen.
"J'ai raté l'hommage à
Woody Allen – ont-ils évoqué la fois où une femme a publiquement confirmé qu'il
l'avait agressée à 7 ans avant ou après avoir cité Annie Hall ?",
commentait-il sur Twitter alors que son père recevait un Golden Globe d’honneur
pour l’ensemble de sa carrière.
Depuis, Ronan Farrow s’est fait un devoir de briser l’omerta
qui sévit au sein des hautes sphères hollywoodiennes. Parallèlement au Festival
de Cannes de mai 2016, le journaliste dénonçait la "culture de l’impunité
qui entoure Woody allen" dans une tribune au Hollywood Reporter. C’est avec sarcasme et amertume qu’il observe
son père se "pavaner" sur le tapis rouge sans que "personne ne
lui pose de question gênante", lui qui n’a jamais été jugé ou condamné.
Ayant
délibérément coupé tout contact avec son père, ces attaques par médias interposés
restent l’ultime forme de relation qu’ils entretiennent. Enfin, "relation",
c’est vite dit, tant celle-ci est quasi uniquement à sens unique. Woody Allen préférant
le plus souvent se murer dans le silence ou laissait ses avocats et collègues
dévoués assurer sa propre défense.
L'accablante enquête de Ronan Farrow, longue de dix chapitres et de forts témoignages (avec, entre autres, ceux de l'actrice italienne Asia Argento et la chanteuse Lucia Evans) n’a pas été
une sinécure. D’aucuns journalistes le savent : on ne peut enquêter sur Harvey Weinstein impunément.
À l’instar d’autres confrères, le jeune homme de
29 ans a subi de nombreuses pressions. "J’ai été menacé d’une poursuite
judiciaire par Harvey Weinstein en personne", Ronan Farrow a-t-il confié
sur le plateau du Rachel Maddow Show sur MSNBC. Mais l’investigateur, épaulé
par le New Yorker, n’a jamais rien lâché, avec le vertigineux résultat qu’on
lui connaît.
Depuis, Harvey Weinstein a été remercié par son conseil d’administration et la Weinstein Company envisage de changer de nom, situation de crise oblige. Chaque jour, de nouvelles voix féminines osent sortir de l’ombre pour ajouter leurs témoignages. Enfin, les langues se délient. Arrivons-nous vers la fin de la loi du silence à Hollywood ?
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