Michel Sardou souffle ce 26 janvier 2022, ses 75 bougies. Le chanteur toujours très populaire a façonné sa carrière avec une voix puissante, une incroyable énergie sur scène mais aussi des textes et des positions publiques particulièrement éloignées du politiquement correct. Engagé ? Problématique ? Réac' ? Naïf ? Provocateur ? Produit de son époque ? Il est difficile de définitivement classer la discographie de Michel Sardou.
Tout a commencé avec le titre Les Ricains au cœur des années 1960. La chanson est écrite pour rendre hommage à la bravoure des libérateurs de l'Europe : les forces américaines. Mais cette chanson sort dans les bacs alors que la Guerre du Vietnam fait rage. L’impérialisme américain est alors condamné par de nombreux courants de gauche, pacifistes, anticolonialistes... Le texte est alors perçu comme une provocation en contrastant fortement avec l'opinion publique de l'époque. "Si les Américains n’avaient pas été là, on serait tous Allemands à l’heure qu’il est"chantait Michel Sardou dans son texte à l’origine écrit pour Alain Delon. Alain Delon n’avait pas voulu l’enregistrer et Sardou a décollé grâce à ce titre.
L'autre accusation persistante est le sexisme, le machisme ou du moins l'anti-féminisme du chanteur. "Tu m’as donné de beaux enfants. Tu as le droit de te reposer maintenant" de ses Vieux mariés de 1973 transforme le chanteur en héraut du patriarcat triomphant, réduisant les femmes à leurs seules fonctions reproductives. Dans Villes de solitude, sorti la même année, Michel Sardou chante : "J’ai envie de violer des femmes. De les forcer à m’admirer. Envie de boire toutes leurs larmes. Et de disparaître en fumée." Naturellement, Michel Sardou emprunte là la voix d'un personnage et joue sur l'ambiguïté, à l'instar d'un OrelSan aujourd'hui, mais ces paroles lui seront longuement reprochées.
Trois ans après, sa chanson la plus politique sort. Celle qui restera dans l'histoire de la chanson française comme l'une des grandes polémiques de l'époque. Je suis pour est un plaidoyer pour la peine de mort. Le chanteur use une fois encore du même dispositif créatif pour dire ce qu'il pense et s'offrir une protection certaine en cas de contre-coup médiatique : c'est le personnage qui parle. Michel Sardou incarne dans ce titre le père d'un enfant assassiné. Il chante : "Les philosophes, les imbéciles, parce que ton père était débile, te pardonneront mais pas moi, j’aurai ta tête en haut d’un mât. Tu as tué l’enfant d’un amour. Je veux ta mort : je suis pour !" Cinq ans plus tard Robert Badinter fera voter, contre l'opinion publique de l'époque, l'abolition de la peine de mort.
L'année suivante, énième polémique. Michel Sardou devient presque une sorte de symbole d'une certaine droit en chantant en 1977 Le temps des colonies. "Autrefois à Colomb-Béchar, j’avais plein de serviteurs noirs / Et quatre filles dans mon lit, au temps béni des colonies/ Y a pas d’café, pas de coton, pas d’essence, en France / Mais des idées ça on en a, nous, on pense", chantait-il. Les clichés, une forme de nostalgie déplacée voire rance et des sous-entendus racistes émaillent le texte. Le chanteur devra s'expliquer pendant des décennies sur ces différents titres.
Aucune polémique ne l'effraie. De quoi constater les différences culturelles entre les années 70 et 80 et la France de 2022. Corolaire d'une vision profondément sexiste du monde, ses textes n'hésite pas à taper sur les homosexuels. "J’accuse les hommes de croire des hypocrites moitié pédés, moitié hermaphrodites", chante-t-il dans J’accuse (1976). Dans Le rire du sergent (1971) il moque "La folle du régiment, la préférée du capitaine des dragons". Dans Chanteur de jazz (1985), il parle de "nuées de pédales", sortant du Carnegie Hall. Il faut dire que l'homosexualité a été considérée en France comme une maladie mentale jusqu'en 1992. Fruit d'une idée fixe personnelle ou d'une époque ? Il est difficile de le savoir.
Depuis toujours et tout particulièrement dans les récentes années, Michel Sardou est revenu sur ces textes. Il ne s'en est pas excusé mais il a expliqué qu'il fallait percevoir les opinions de ses personnages et pas les siennes dans ces textes. Mais est-il vraiment l'homme de ses chansons ? "C’est pas moi qui dis que j’ai envie de violer les femmes, c’est pas mon truc d’ailleurs", justifiait-il en 2017. Pro-colonialisme Michel Sardou ? Pas du tout. "C’était pris au second degré voyons ! Le problème c’est qu’en chanson, le second degré passe très mal. Bien entendu que je m’en fous, moi, des colonies. Je me fous de la gueule d’un mec. Je joue un personnage. Je joue des rôles à chaque fois. Je ne suis pas plus humaniste que je suis fasciste ou que je suis colonialiste. Je suis moi, je suis un comédien., argumentait-il.
Le 4 mai 2021 sur RTL à l'occasion de la parution de son autobiographie Je ne suis pas mort... Je dors ! Michel Sardou est revenu sur la polémique provoquée par sa chanson Je suis pour créée en 1976 au moment de l'affaire Patrick Henry, ce tueur d'enfant sauvé de la peine de mort par Robert Badinter... "Je vais vous dire la vérité j'ai toujours été favorable à l'abolition de la peine de mort. Depuis le temps qu'elle existe sous toutes ses formes, ça n'a jamais fait reculer le crime. Ça me paraissait donc normal de ne plus avoir ces coutumes-là", confiait le chanteur. Mais bon ça je n'ai pas eu le temps de le dire. Tout le monde m'est tombé dessus. 'Facho !', "nazi !'... et on en parle encore, ça dure. Ça arrive de se planter dans une chanson mais les gens ne comprennent pas ça. Le choix du titre est mauvais. Je l'ai très peu chantée, ça n'a pas été un succès. Ça a été un scandale mais pas un succès."
"Mais je vais vous faire un aveu : j'ai eu dans mes premiers clients des trotskystes. Pour moi, la gauche n'est pas une ennemie. Quand on me dit de droite on sous-entend souvent extrême droite. Or ça, jamais de ma vie. Je ne suis pas raciste non plus. Je ne suis pas anti-féministe, mais je ne suis pas de tous les féminismes. Je suis plus près d'une madame Badinter que d'une dame qui dit qu'elle ne veut pas se marier parce qu'elle ne veut pas être violée tous les soirs. Dans le genre 'genré', quand une dame dit à la télévision que son fils voulait être une fille depuis l'âge de 4 ans (...) Quand j'entends des conneries comme ça, le côté grande gueule fait son apparition. Mais le féminisme qui consiste à rétablir une [égalité salariale], respecter les femmes... Mais bien sûr !", continuait-il.