Marie-Bénédicte Allaire : "Chirac, un procès qui n'a plus beaucoup de sens"
Du lundi au vendredi à 18h25, le fondateur de "Libération" et grand observateur de la vie politique depuis trente ans, propose un billet d'humeur. L'occasion de livrer son regard sur une actualité qui l'a marqué. Ce vendredi soir, c'est Marie-Bénédicte Allaire qui officie pour remplacer Serge July.

- Jacques Chirac sera finalement jugé, la cour de cassation a rejeté la question prioritaire de constitutionnalité, à l'origine de la suspension du procès en mars ... mais ce procès a-t-il encore un sens aujourd'hui, si longtemps après les faits ?
on peut se poser la question, quand on voit le peu de réaction à l'annonce de cet après-midi ... même si il est vrai que l'actualité est très dense par ailleurs ... d'abord les faits reprochés à l'ancien président, des emplois présumés fictifs remontent à une vingtaine d'années... il était alors maire de Paris et président du RPR ... il a été mis en examen dans deux dossiers, celui des chargés de mission de la ville de Paris pour "détournement de fonds" ... et celui des anciens permanents du RPR rémunérés par la Ville ... volet pour lequel Alain Juppé lui a été condamné ... ces affaires, et d'autres, comme celles des billets d'avion, ont empoisonné le premier mandat présidentiel de Jacques Chirac... pas question à l'époque pour un juge d'entendre le chef de l'Etat ... protégé par son statut présidentiel ... le procès devait donc se tenir en mars, c'était un événement politique et judiciaire majeur... il a été suspendu dès la deuxième journée ... pour des questions de remise en cause de la prescription ... cette image, attendue par ses adversaires, redoutée par ses amis de l'ancien chef d'Etat devant la justice, on ne l'a donc pas vue
- aurait-il alors fallu ajourner ce procès ?
la question s'est posée à la fin de l'hiver dernier ... même parmi ses adversaires politiques, certains ont relevé que ce procès arrivait tard ... chez un homme âgé et malade... pourtant l'ajournement du procès a créé un malaise dans le monde politique ... qui sent bien l'ambivalence de l'opinion ... les Français ont aujourd'hui pas mal d'indulgence pour l'ancien président ... mais en même temps ils ne supportent pas l'idée que la justice puisse être plus douce pour les puissants que pour les faibles ... et qu'en fonction de sa position sociale on bénéficie d'une certaine impunité ... en mars, les proches de Jacques Chirac ont d'ailleurs soigneusement expliqué qu'il ne se réjouissait pas de ce report ... qu'au contraire, il était en quelque sorte frustré d'échapper à cette confrontation qu'il attendait sereinement ... et à laquelle il s'était préparé ... la tenue de ce procès paraît donc aujourd'hui nécessaire, même si c'est vrai, il arrive bien tard, trop tard ... et qu'on a perdu beaucoup de temps depuis que Jacques Chirac a quitté l'Elysée en 2007 ...
- est-on assuré que le procès va pouvoir se tenir ?
aujourd'hui la cour de cassation a tranché, le procès va pouvoir reprendre ... il va y avoir une première audience technique en juin, pour établir un calendrier ... et le procès se tiendra normalement en septembre prochain ... mais Jacques Chirac y assistera-t-il en personne, ça c'est une autre histoire ... il a 78 ans, il est fatigué ... ses proches décrivent des moments d'absence, des difficultés à se déplacer ... plus le temps passe plus cette épreuve sera pour lui difficile physiquement et moralement ... est-ce que ses proches n'auront pas à coeur de la lui éviter ... en présentant aux juges un certificat médical qui le dispenserait de l'audience ? ... ce n'est pas impossible ... les neuf autres prévenus, ses anciens collaborateurs, se retrouveraient alors seuls face à la justice ... cet après-midi, contrairement à la fois précédente, les bureaux de Jacques Chirac n'ont pas réagi à l'annonce de la tenue du procès ... c'est peut-être un indice ... on verra aussi si pour la sortie du second tome de ses mémoires ... l'ancien président réduit au minimum les séances de signatures ... ce sera aussi une indication.