"Je pense que la France n'est pas responsable de la rafle du Vel d'Hiv". Cette phrase, prononcée par Marine Le Pen dimanche 9 avril lors du Grand Jury RTL-LCI-Le Figaro, pourrait marquer un tournant dans la campagne de la frontiste, à treize jours du premier tour de l'élection présidentielle. La prise de position de l'eurodéputée sur l'un des événements les plus dramatiques qu'a connu la France pendant la Seconde Guerre mondiale a en effet reçu une volée de bois vert de la part de la classe politique et des historiens. La première salve a été tirée par Emmanuel Macron. "D'aucuns avaient oublié que Marine Le Pen est la fille de Jean-Marie Le Pen", a tempêté le leader d'"En Marche !" sur BFMTV.
Face aux critiques, la benjamine du Menhir, qui s'estime victime d'une "instrumentalisation politique", a tenu à clarifier sa position. "Je condamne évidemment absolument sans réserve le régime collaborationniste de Vichy et les atrocités qu'il a commises ou laissé commettre, ma position vise à ne lui donner aucune légitimité", a rappelé la candidate, lundi 10 avril dans les colonnes du Figaro. Invité surprise de la campagne, cet événement tragique est sans doute méconnu par une part de la population. Retour sur cette rafle qui conduisit, il y a 75 ans, à la déportation de 13.000 juifs arrêtés par les autorités françaises à Paris.
16 juillet 1942. Depuis deux ans, l'Allemagne nazie occupe le territoire français, épaulée par un régime de Vichy aux ordres. L'opération "Vent printanier", lancée un mois plus tôt par le IIIe Reich, vise à organiser des rafles en France, mais aussi aux Pays-Bas et en Belgique, dans le cadre de la politique d'extermination des populations juives. C'est dans ce contexte que l'Hexagone, dirigé par le maréchal Pétain, s’apprête à mettre en oeuvre la plus grande rafle jamais organisée sur son sol.
Pendant deux jours, près de 13.000 juifs sont interpellés par quelque 7.000 policiers français, femmes et enfants compris. L'ordre de procéder à l'interpellation d'enfants de moins de 16 ans émane directement de Pierre Laval, ministre de Philippe Pétain. 4.115 seront arrêtés. Les familles avec enfants sont enfermées au sein du Vélodrome d'Hiver, un palais des sports érigé en 1909, rue Nélaton, dans le 15e arrondissement de la capitale. Sans couchage, sans nourriture ni eau potables, les 8.000 personnes entassées au Vel d'Hiv vont vivre plusieurs jours dans des conditions déplorables.
Les prisonniers du Vélodrome, âgés de 2 à 60 ans et tous juifs apatrides, sont ensuite acheminés par train depuis la gare d'Austerlitz vers le camp d'internement de Pithiviers et de Beaune-la-Rolande. La plupart seront par la suite déportés à Auschwitz-Birkenau, terrible camp d'extermination situé en Pologne. Le bilan est extrêmement lourd. Seules quelques dizaines de survivants reviendront de l'enfer des camps.
Il faut attendre un demi-siècle pour que la France revienne sur son passé douloureux. En 1995, le président Jacques Chirac admet la responsabilité de la France dans la rafle du Vel d'Hiv. "La France, ce jour-là, accomplissait l'irréparable. Manquant à sa parole, elle livrait ses protégés à leurs bourreaux", confiait-il avec solennité lors de la cérémonie de commémoration de ces événements tragiques. Et de reconnaître : "Oui, la folie criminelle de l'occupant a été secondée par des Français, par l'état français". Selon Serge Klarsfeld, président des Fils et filles des déportés juifs de France, ce discours, "salué dans le monde entier comme une courageuse et salutaire reconnaissance", marque "une profonde rupture".
En juillet 2012, le président François Hollande va plus loin que Jacques Chirac dans la repentance, qualifiant la rafle de crime français : "Nous devons aux martyrs juifs du Vélodrome d'Hiver la vérité sur ce qui s'est passé il y a 70 ans" et "la vérité, c'est que ce crime fut commis en France, par la France". Il soulève la critique de responsables de droite, comme Henri Guaino, ou de gauche, à l'image de Jean-Pierre Chevènement. Déjà, le vice-président du Front national, Florian Philippot, dénonce un "concours de repentance généralisé" et appelle à "cesser de culpabiliser les Français".
Pour l'historien Claude Quétel, "ce n'est ni à [Marine] Le Pen, ni à [Jacques] Chirac, ni à qui que ce soit du monde de la politique de trancher" sur l'éventuelle responsabilité de la France dans cette affaire. Selon lui, l'Hexagone est "totalement responsable" du "régime de Vichy" ainsi que de "cette épouvantable journée du Vel d'Hiv", ajoutant que les historiens sont unanimes sur cette question.
"La France a été le meilleur élève de la collaboration nazie", martèle le spécialiste. Et de poursuivre : "En 1942, la résistance est encore très minoritaire. Il ne faut pas que l'on tombe dans ce roman national d'une France totalement résistante". Claude Quétel rappelle en effet que les usines Renault ont tourné pour un régime du Reich déjà nourri par la France agricole.
75 ans après, il faut reconnaître que la jeune génération est peu au fait de cet épisode noir de l'Histoire française. Selon un sondage CSA repéré par Le Figaro, 67% des 15-17 ans ignorent tout de la rafle du Vélodrome d'Hiver, à l'instar de 57% des 25-34 ans. Et pour les étudiants qui ont entendu parler de ces arrestations massives, seul un tiers d'entre eux savent qu'elles ont été menées par la police française.
Ce sondage dévoile "la faible connaissance de l'histoire de la rafle du Vel d'Hiv, et de la participation des autorités françaises, alors que cet événement est crucial dans la conscience nationale et que sa transmission comporte un acte pédagogique dans la lutte contre toutes les formes de haine", fait valoir le président de l'Union des étudiants juifs de France (UEJF) Jonathan Hayoun. Cette polémique engendrée par Marine Le Pen aura peut-être pour mérite de remettre en lumière un événement important de l'histoire du pays, aussi dramatique fût-il.