Des gardes masqués nous accueillent et nous mènent devant une des cellules. Il y a une petite ouverture dans la porte. L’odeur qui se dégage est à peine supportable. Dans cette pièce de 12m2, sans lumière du jour, 44 détenus dorment les uns sur les autres.
Un homme vient vers nous, barbe courte et capuche sur la tête. "Il y a les poux, la gale, ce sont des conditions infernales. On ne voit même pas le soleil une fois par semaine, et la nourriture n'est saine non plus". Cet homme de 65 ans est Tunisien. Il est enfermé ici depuis la chute de l’Etat islamique il y a presque un an. Comme beaucoup d’autres, il dit n’avoir jamais combattu, il assure qu’il tenait simplement un commerce à Raqqa.
Mais Ali, le responsable des surveillants, n’y croit pas une seconde. "S’ils étaient tous des civils alors qui était de Daesh ? C’est n’importe quoi ! Ces hommes ne sont pas là par hasard. Nous avons mené l’enquête, récupéré sur les réseaux sociaux des vidéos des photos de leurs exactions. On sait qui ils sont."
On a besoin de savoir ce qu'on va faire de nous
Un détenu de la prison
Pour éviter toute mutinerie, les prisonniers ne savent pas que le chef de l’Etat islamique est mort, ni que la Turquie a lancé une offensive en octobre. Un détenu nous demande combien de temps il va rester ici. Nous n’avons pas le droit de lui répondre.
"On a besoin de savoir ce qu’on va faire de nous. Ça va faire un an qu’on est ici. Il faut qu’on nous amène devant les tribunaux, qu’on nous juge ! Mais qu’on ne nous laisse pas comme ça. On veut des informations, même minimes ! Qu’on nous dise ce qu’il va nous arriver", crie-t-il.
Au fond de la cellule, certains hommes sont très maigres, et ne bougent presque pas. Les plus malades sont tous regroupés dans une grande pièce. 350 prisonniers blessés ou dénutris. Parmi eux, un homme avec une couverture grise sur la bouche, qui lui sert de protection. "J'ai une fracture, j'attends d'être opéré. Pour nous c'est vraiment de la torture. Quelle que soit la raison pour laquelle nous sommes ici, nous avons des droits", affirme-t-il.
Les autorités kurdes ont annoncé récemment qu’elles pourraient commencer à juger tous ces djihadistes au printemps. Mais en attendant, ces 5.000 prisonniers restent à leur charge. Avec les risques d’évasion que cela comporte. D’autres prisons ont déjà été attaquées ces derniers mois.
Ce reportage réalisé par Emilie Baujard et Jonathan Griveau a reçu ce 10 octobre 2020, le 3e prix catégorie Radio au Prix Bayeux Calvados des correspondants de guerre.