"On sait où on va, et on sait pourquoi".
Embarquer sur l’Aquarius, comme le résume l’un de ses sauveteurs, c’est d’abord
se demander bêtement combien de vies sauvées emprunteront le même chemin dans
les jours à venir. "Deux fois, on a été jusqu’à 650 sur ce bateau",
détaille Mathias Menge, 48 ans, coordinateur allemand de l’équipe de sauvetage
de l’association "SOS Méditerranée".
A bord de ce 77 m qui héberge une trentaine de marins,
de sauveteurs et de personnels soignants de l’ONG "Médecins sans
Frontières", tous ont d’abord eu plusieurs vies aux quatre coins du
monde. Bertrand Thiebault, Héraultais de 42 ans qui entame sa septième semaine
à bord a par exemple travaillé dans la communication puis sur des bateaux de
plaisance : "J’aurais pu continuer à faire des ronds dans l’eau, le
long de la Côte d’Azur ou ailleurs, dit-il, mais vu ce qu’il se passe, je pense
être là au bon moment et au bon endroit".
Ce qu’il se passe, c’est plus de 10.000 décès entre la Libye et la Sicile depuis 2014 et la fin de "Mare Nostrum", l’opération de sauvetage de l’agence européenne Frontex lancée l’année précédente suite au drame de Lampedusa. Depuis, seules les ONG comme "SOS Méditerranée" effectuent des missions spécialement dédiées au secours des migrants en mer, "financées à 99% par des dons privés", assure Natahalie Achard, sa directrice de campagne.
Chaque rotation dure trois semaines. Positionné à l’Est de Tripoli, l’Aquarius et sa coque orange attendent le signalement d’un pneumatique en détresse. Arrivé sur place, deux canots sont jetés à l’eau pour sauver des hommes, des femmes et des enfants "traumatisés" par ce voyage, explique Jacob, l’un des infirmiers de "Médecins Sans Frontières" à bord depuis deux mois: "Le dernier sauvetage a été tragique. Il y avait des morts lorsque nous sommes arrivés". 22 exactement, auxquels s’ajoutent 87 corps de migrants retrouvés en début de semaine sur les côtes libyennes.